Bon ben, face aux bonnes critiques et aux échos qui m’ont particulièrement attiré, j’ai fini par faire l’effort de me traîner au cinéma pour la dernière fois de l’année pendant trois heures face à ce LOUP DE WALL STREET. Et bien m’en a pris !
A priori, on peut se demander quel est l’intérêt de raconter cette histoire de connard de trader qui a le monde à ses pieds, en 2013. Surtout en situant ça dans les années 80 et 90, alors que la crise est passée par là et a redistribué les cartes à ce propos. Surtout en adaptant le livre autobiographique du vrai Jordan Belfort qui est forcément une vision biaisée, partielle et partiale, de l’histoire. Surtout après que Oliver Stone et Woody Allen, entre autres, se soient vautrés récemment sur ce sujet.
De fait, le film ne nous dit rien de bien neuf sur l’argent qui corrompt, sur les banquiers qui nous gouvernent, sur la mégalomanie des petits maîtres du monde qui se livrent impunément à tous les excès, tout ça. Le film ne nous apprend rien sur ça, parce que Martin Scorsese n’en a tout simplement rien à battre ! Plusieurs fois dans le film, d’ailleurs, le personnage de Leo s’adresse au spectateur en lui parlant d’opérations bancaires pour se couper lui-même en disant des trucs genre : « Pourquoi je vous raconte ça ? Vous vous en foutez et n’y comprenez rien. L’important, c’est qu’on s’est fait un max de blé ».
Non, ce qui intéresse Marty, clairement, c’est de traiter le personnage de Belfort et ses comparses comme ses gangsters de la grande époque ; de nous raconter la traditionnelle histoire d’ascension et de chute avec tous ses excès ; de décrire un système mafieux de l’intérieur. En somme, Scorsese nous rejoue ici Les Affranchis et Casino, mais en remplaçant la mafia par des traders. Non seulement il se retrouve en terrain connu, mais ces retrouvailles avec les bases de son cinéma redonnent au réalisateur de 71 ans la fougue de sa jeunesse. Et le film est peut-être le meilleur de sa collaboration avec DiCaprio, les deux retrouvant enfin totalement l’alchimie du couple que le réalisateur formait avec De Niro. L’acteur incarne alors idéalement l’alter-ego du réalisateur à l’écran, mais c’est le Scorsese défoncé et complètement dingue des années 70-80 qui nous apparaît, plus que l’institution du cinéma qu’il est devenu. Et ça fait vraiment plaisir.
Tout comme ça fait plaisir de le voir d’une certaine façon revisiter toute sa filmographie, de ses films mafieux évidemment à d’autres pans plus discutables – comme par exemple Cape Fear cité précisément lors de la scène du bateau dans la tempête.
La cure de jouvence du réalisateur s’incarne aussi à plein dans la forme du film. C’est simple : c’est de l’hystérie totale sur tous les plans pendant 3 heures. La caméra part dans tous les sens, le montage est hyper nerveux, ça pète à tous les coins de l’écran, c’est un étalage constant de vulgarité arriviste et de folies en tous genre, les répliques fusent à toute vitesse, les acteurs hurlent, tout le monde se vautre dans l’alcool/la coke/les putes/l’étalage d’argent/l’impunité la plus totale, la musique rugit… C’est aussi un des films les plus drôles que j’aie vus cette année, même si c’est un humour désespéré, d’un cynisme ravageur, d’une ironie implacable. L’humour noirissime, c’est le biais que Scorsese et DiCaprio ont trouvé pour éviter que le public ne vomisse sur des personnages qui atteignent en ignominie des sommets rarement vus au cinéma. Car contrairement aux films de gangsters sublimes du réalisateur, il n’est jamais ici question d’empathie avec les personnages, de les excuser et d’éprouver la moindre sympathie à leur égard. 2 scènes pourraient jouer en ce sens – la « fausse démission » de Jordan, et la scène finale – mais elles sont traitées de manière à ne jamais excuser les actes du personnage principal. Scènes compensées par d'autres où il s'avère irrécupérable, celle où il amène sa fille de force hors de chez lui par exemple, évidemment. Connard intégral il est tout au long du film, connard intégral il restera. Les quelques critiques (tel Pierre Haski dans un article de Rue89 par exemple) qui s’interrogent sur la morale du film se trompent de cible : si tant est que Scorsese ait envie de nous parler du monde de l’argent, il faudrait plutôt s’interroger sur le type de fascination que la richesse et ce type d’enfoiré de trader exercent sur les gens – car c’est cette fascination pour le bling bling que le film met en scène.
Tout ça rend le film épuisant, et constitue aussi sa principale (et unique, à mon avis) limite. En maintenant toujours ce même niveau où tous les curseurs sont poussés dans la zone rouge, le film finit par tourner un peu en rond. Même drôles ou puissantes en soi, certaines scènes sont répétitives et inutiles – on a bien compris au bout d’une heure trente que ces mecs étaient des gros tarés camés jusqu’aux yeux et tirant tout ce qui bouge en emmerdant le FBI, pas forcément besoin de nous le redire pour la 15ème fois. Le film aurait ainsi pu être allégé de 30-45 minutes facilement, et le rythme mieux revu pour éviter de rester toujours les potards à fond. Scorsese aurait alors peut-être tenu là la bombe nucléaire totale dont le film se rapproche sans pouvoir y prétendre en l’état.
Ce qui ne fait aucun pli, par contre, c’est l’interprétation stratosphérique de Leonardo DiCaprio dans le rôle principal. Quasiment de tous les plans, l’acteur bouffe littéralement le film, le transformant en véhicule personnel en route directement pour les Oscars. Du cabotinage hystérique à la Nicholson/De Niro/Pacino, certes, mais comme ses glorieux aînés (à une époque lointaine, avant qu’ils ne se caricaturent systématiquement), il porte ce cabotinage à un haut niveau, et y mêle une intelligence de jeu rare. S’il passait son temps juste à grimacer, hurler et faire n’importe quoi dans une ambiance de débauche permanente, ça ne serait pas intéressant. Leo devient génial parce qu’il sait aussi en un instant faire passer une émotion, une idée, apporter une complexité et un nouveau degré de lecture du personnage au milieu de son outrance. Pour moi, y’a pas photo, c’est sans conteste la performance de l’année – sachant qu’il était aussi bon au début de l’année dans la Tarantino, ça devient vertigineux.
Forcément, les seconds rôles existent peu à côté de cet ouragan qui squatte l’écran. Jonah Hill, énorme, s’en sort tout de même carrément bien. Tout comme, à un degré moindre, Kyle Chandler dans le rôle de l’agent du FBI qui poursuit le trader. La blondasse sur laquelle tous les crétins à peine pubères de certains forums se touchent la nouille n’a non seulement aucun intérêt physiquement pour un quelconque hétéro ayant dépassé 16 ans, mais elle n’a rien à jouer (comparez avec Sharon Stone dans Casino, c’est pitoyable) – elle a quand même une bonne scène, lorsqu’elle aguiche son mari sans culotte, mais c’est parce que c’est bien écrit... Mieux vaut s’émoustiller sur les nombreuses donzelles peu vêtues qui fourmillent dans le film. Comme prévu, Dujardin n’a que 5 minutes d’apparition à l’écran (dans un rôle important pour l’histoire, quand même) – et tant mieux parce qu’il est particulièrement mauvais.
Contre toute attente, Scorsese nous assène donc une dernière grosse baffe en cette fin d’année (via DiCaprio, mais là on s’y attendait). Vue la durée du film, on n’en redemande pas en sortant de la salle, mais on n’en est pas loin !