Je suis loin d'adhérer totalement au buzz énorme qui voit depuis quelques années en Jeff Nichols le plus géniââââââl des réalisateurs indépendants américains, quelqu'un comme l'équivalent de l'avenir ultime en ce domaine. J'avais certes beaucoup aimé Mud, mais ni plus ni moins que les autres films réussis de cette nouvelle mouvance du polar redneck boueux. Et Take Shelter m'avait laissé dubitatif (avec son traitement et son originalité aussi intéressants que chiants).
Néanmoins, j'attendais de pied ferme son nouvel opus, ce MIDNIGHT SPECIAL vu en avant-première hier. Même si c'est typiquement le film qui a déjà commencé à départager ceux qui l'ont vu (en festival, en projections privées...) en deux camps bien distincts. Un peu à la manière de It Follows, sorti à peu près à la même époque l'année dernière.
C'est que Nichols change ici de registre, d'économie, de style... tout en ne changeant rien à son cinéma, finalement ! D'emblée, le film est annoncé comme "plus commercial"; un film de SF livré par un réalisateur indépendant, en forme d'hommage au Spielberg des années 70-80 (tendance Rencontres... ou E.T.) et à ses productions Amblin de l'époque. Toujours au jeu des comparaisons, ça rapproche ce film du Super 8 de JJ Abrams, qui jouait déjà dans ce même registre. Et auquel le résultat à l'écran fait parfois penser, en effet.
Mais qu'on ne s'attende pas à un blockbuster flamboyant qui pète de partout ! Nichols traite son film de la même manière que ses films précédents; d'ailleurs, Take Shelter était déjà, à sa manière, une vision très personnelle du thriller apocalyptique.
Il s'agit donc bien d'un film "en creux", refusant régulièrement le spectaculaire, pour traiter d'une histoire assez classique en ayant plus recours à une ambiance planante qu'à une débauche d'effets spéciaux et d'explosions. Ce qui ne veut pas dire que le film ne propose pas quelques scènes "d'action" - d'ailleurs totalement fascinantes. Par exemple la destruction de la station essence, la capture de l'enfant par les hommes de main de la secte, la poursuite finale, etc.
Mais l'essentiel de l'action repose sur des scènes calmes, qui cherchent à créer une atmosphère et faire naître une émotion chez les spectateur, plutôt que de l'embarquer dans un tour de montagnes russes.
Et, à mon avis, ça fonctionne parfaitement ! Entre la réalisation et l'image superbes, la musique magnifique de David Wingo, et une troupe d'acteurs au top (Michael Shannon, comme dans tous les films de Nichols, Joel Edgerton, Kirsten Dunst, Adam Driver - bien meilleur qu'en Kylo Ren ! - le jeune Jaeden Lieberher...); tout concourt à embarquer dans l'univers singulier du film.
Mais c'est surtout le traitement des éléments de SF qui fait très plaisir. ça m'a constamment fait penser à une adaptation ciné officieuse de Robert Charles Wilson (d'autant plus que je suis en plein dans son dernier livre !). On est là face à un exemple rare de film de "vraie SF", équivalent à ce qu'on peut lire dans le genre, et s'éloignant des vaisseaux qui font du bruit dans l'espace. Et aussi à des thèmes et un style qu'on retrouve chez RCW : le même "humanisme", la même confiance dans une vision "positive" de la science-fiction, qui aboutit à un final bouleversant. Du coup, le film n'a jamais à se forcer; ne se sent jamais obligé de fournir des explications lourdingues ou de surinterpréter les éléments de l'histoire. Certains, probablement, se plaindront parce qu'il n'auront rien compris. Pas moi, qui n'aime pas qu'on me prémâche tout, et qui ai adoré me faire happer dans l'univers du film. Là aussi, au jeu des références, on pourrait rapprocher le film d'un Shyamalan. En les opposant : parce que le travail de Nichols va justement à l'encontre d'un Monsieur Nuit qui, passé Sixième Sens et Incassable, n'a jamais cessé de prendre ses spectateurs pour des cons et de livrer des films avec explications de texte intégrées. Midnight Special, c'est tout l'inverse : un film mystique à la Shyamou, mais réussi.
(à noter qu'on est plutôt gâtés au cinéma en ce moment, entre ça, Room, Belgica, Zootopie, le doc sur le Dune avorté de Jodorowsky, Merci Patron... C'est suffisamment rare pour être signalé !)