En fait, en le recopiant, je me sens même insulté par ce mépris et cette ironie pitoyables.
Je pense que je vais me fendre d'un mail au mag.
Il s’est pris un petit coup de vieux, non ? Sur la vidéo qui a scellé son retour, Bertrand Cantat n’a plus son allure de rock star renversante de beauté et d’assurance. Les poches sous les yeux, le regard un peu vide, les poils blancs sur un menton bien ferme le rendent plus humain. Presque un nounours qu’on aimerait consoler de ses gros chagrins. Parce qu’en plus, il a l’air d’en avoir, du chagrin. Le bientôt cinquantenaire, qui gratte sa guitare à la manière d’un Brassens débutant, perché sur un banc, partition en face de lui, entonne d’une voix plaintive une valse à trois temps : il veut, chante-t-il « regarder droit dans le soleil » - on doit comprendre : sortir de l’ombre, repousser les côtés sombres.
La chanson, dépouillée et mélancolique, annone un album [u]Horizons[/i] (allégorie, quand tu nous tiens), qui paraîtra le 18 novembre sous le nom de son nouveau groupe Detroit. la date de sortie initialement prévue, une semaine plus tard pour accrocher aux préachats de Noël, correspondait à la Journée mondiale de lutte contre les violences faites aux femmes… Vu les circonstances de la mort de Marie Trintignant, ça la fichait mal.
De toute façon, on aura beau tourner, détourner, contourner le sujet, se répéter que Cantat fait son métier en toute légalité, on ne pourra jamais prétendre l’écouter en oubliant le reste. Même en s’attardant au seul contenu de sa chanson, on retombe dedans : tout le monde y lit sno envie de renaissance et y voit le fantôme de Marie Trintignant. Peut-être même aussi celui de l’épouse suicidée Kristina Rady. Plus rien n’est anodin. On avait déjà eu cette sensation en janvier dernier, à Bercy, lorsque Cantat était venu interpréter Avec le Temps lors d’un concert de Shaka Ponk. « Avec le temps va, tout s’en va… ». L’élégance même. Mais il aurait chanté Dis quand reviendras-tu ?, cela aurait été pire. Même Viens boire un petit coup à la maison serait mal passé.
En tout cas, qu’on ne s’y trompe pas : sous la chanson dépouillée d’aujourd’hui et son clip, façon vidéo amateur, Cantat n’affiche pas profil bas. Son single a bénéficié du même lacement que celui de Paul Mac Cartney. Il sort chez Barclay, label historique de Noir Désir, et département de Universal, dont le chanteur avait bruyamment critiqué en 2002 la stratégie de « ramifications, absorptions, profits » - qui ne s’est pas arrangée depuis. Une tournée est même déjà annoncée pour le printemps 2014. Plusieurs producteurs ont été sollicités.
On ne refait pas le passé. Pendant plus de 10 ans, le magnétique Cantat aura marqué le rock français, et enflammé ses fans, nombreux. Depuis, des milliers d’autres chansons ont vu le jour, sans lui, et certaines, magnifiques, ont à leur tour bouleversé des milliers d’existences. Des grands disques, on en a tant que ça à se mettre dans l’oreille et le cœur – on manque même de temps pour les écouter tous. Et des grands artistes, on en a tellement à aimer ; ils nous consolent de bien des choses. Cantat, lui, garde des inconditionnels, férocement protecteurs ou étrangement fascinés. La décence ne se décrète pas, elle est affaire personnelle. Attention quand même : à trop regarder droit dans le soleil, on finit par s’aveugler.