Donc voilà, la meilleur chose à dire sur ce JUPITER ASCENDING (oubliez tout de suite Le Destin de l'univers pompeux et mensonger du titre français) est certainement que c’est un pur film des Wachowski, les frères devenus frère et sœur qui font toujours des films bizarres, décalés, ouvertement délirants, totalement personnels et en même temps ultra-référentiels et codés. On peut penser ce qu’on veut (perso, surtout du bien) de Bound, les Matrix, Speed Racer (leur meilleur film, avec le premier volet de leur trilogie !), Cloud Atlas, et maintenant celui-là ; une chose est sure : un film des Wachowski ne ressemble jamais à rien de connu, et cueille toujours le spectateur en l’amenant là où il ne pouvait pas s’y attendre.
C’est peut-être encore plus vrai ici, alors que l’affiche et le concept du film semblent a priori marcher dans des pistes très balisées. En gros, on pense aller voir du Space Opera avec des vaisseux spatiaux qui se foutent sur la gueule, des empires galactiques qui s’affrontent dans l’espace, et un brin de Fantasy dans l’histoire d’une reine du cosmos qui doit remonter sur son trône perdu. Du Star Wars avec implants de Tolkien, donc.
Sauf que pas du tout. Ou en fait, si, dans l’idée… mais c’est complètement transformé par les idées bizzaroïdes habituelles de Wachos, leurs obsessions qui viennent contaminer le film (on retrouve même l’idée de l’humanité comme bétail servant à alimenter une « race supérieure », qui n’est plus la matrice), et leur univers visuel décidément totalement à part.
A l’écran, ça donne un imaginaire foisonnant et des visions absolument splendides, des vaisseaux spatiaux superbes, des décors grandioses. Ça donne des scènes d’action incroyables qui foutent instantanément la teuhon aux collègues qui n’arriveront jamais à imbriquer aussi efficacement effets numériques et mise en scène. Ça donne des idées complètement dingues qui pourraient vite tomber dans le ridicule mais fonctionnent au contraire à fond la caisse (la baston au milieu des fleurs et des abeilles, les multiples créatures E.T., les chaussures volantes et les ailes du héros…).
Surtout, il y a comme toujours chez eux une confiance absolue dans leur cinéma, une totale absence de cynisme et une rigueur dans le traitement du matériau qui font sacrément plaisir en ces temps de blockbusters formatés et je-m’en-foutistes. Il faut oser traiter ce film au premier degré et y croire. Les Wachowski osent et y croient. Et c’est payant.
Et on doit ajouter à tout ça les acteurs plutôt convaincants (et qui y croient eux aussi – pas comme dans Les Gardiens de la Galaxie par exemple), le design du film qui accompagne parfaitement les visions du duo. Et la musique incroyable de Michael Giacchino, au sommet de son art.
D’où vient, alors, ce sentiment étrange pendant le film et en sortant de la salle, cette impression qu’on est passé à côté d’un grand film et que c’est quand même en partie un peu raté ?
Du scénario, probablement. Qui induit ce sentiment étonnant : pour une fois qu’un blockbuster de SF ne dure pas 4h50 mais revient aux deux heures réglementaires, on aurait eu besoin que ce soit plus long ! L’histoire développe en effet tout un univers et tout un tas de concepts qui n’ont pas le temps d’être développés. Pire : de nombreuses scènes ne durent pas assez, nombre de transitions sont foirées, et on a l’impression qu’on nous raconte dans la précipitation un truc dans lequel il manque plein de séquences. Je sais pas si les Wachowski ont l’intention de nous la faire à la Peter Jackson avec un future version longue de trois heures, mais en l’état leur film semble monté n’importe comment (le report de la sortie de plusieurs mois pour repasser sur le banc de montage n’y est sûrement pas pour rien). Le résultat est qu’on n’y comprend pas grand-chose, que les liens entre les personnages sont flous, et que leurs actes et nombreux revirements ne paraissent pas justifiés. Et je passe charitablement sur l’héroïne qui passe du statut de femme de ménage nettoyant les chiottes à reine de l’espace en trois secondes sans que ça semble la surprendre plus que ça ! (et qui, elle au moins, comprend tous les ressorts des manipulations dignes de Game of Thrones auxquelles le spectateur reste constamment hermétique).
Ainsi que sur la scène en hommage à Brazil en présence de Terry Gilliam, qui semble venir d'un autre film et n'a rien à faire là.
En l’état, Jupiter Ascending est une œuvre certes bancale, mais totalement fascinante. Et la vision du cinéma des Wachowski reste toujours hautement précieuse dans un cinéma de divertissement américain qui a définitivement abdiqué toute considération artistique.
A voir, donc, même si c’est frustrant !