Difficile de dévoiler l’histoire du nouveau film de
François Ozon,
UNE NOUVELLE AMIE, sans en révéler tout de suite la "surprise" principale. En même temps, celle-ci est dévoilée très vite et ne constitue pas un suspense ou un twist, donc allons-y…
Claire (
Anaïs Demoustier) et Laura (
Isild Le Besco) sont 2 amies d’enfance « à la vie, à la mort », qui rencontrent à peu près en même temps l’homme de leur vie. Lorsque Laura meurt (on ne sait pas de quelle maladie, mais ça n’a aucune importance), elle laisse seuls sont mari David (
Romain Duris) et leur petite fille de quelques mois. Claire et Gilles (
Raphael Personnaz) honorent leur promesse de prendre soin du veuf et du bébé, mais ça va s’avérer plus problématique que prévu. En effet, Claire va très vite découvrir le secret que David cache depuis des années : il aime se déguiser en femme. Et depuis la mort de la sienne, il ne quitte plus ses attributs féminins, pour assurer une présence maternelle auprès de sa fille, dit-il/elle. Entre Claire et l’alter-ego de David rebaptisé Virginia, un étrange jeu de séduction/rejet va se jouer.
Les 10 premières minutes du film, fulgurantes, retracent plusieurs années de la vie des deux amies, jusqu’à la mort de l’une, élément déclencheur de l’histoire à venir. Instantanément, Ozon nous plonge dans l’univers étrange de son film, présente les personnages, installe les éléments fondamentaux du scénario. Une mise en place assez magistrale (qui rappelle un peu le Pixar
Là-Haut, modèle du genre, et donc la fin de
Six Feet Under), jusqu’au basculement brutal de la première scène où Claire découvre David déguisé en femme. Qui survient assez vite, donc, et permet au film de repartir sur ce qui constitue son véritable enjeu : les troubles de l’identité, sexuelle entre autres.
A la séance de questions-réponses avec le réalisateur et les acteurs qui a suivi l’avant-première, la première question était pile celle qu’il fallait poser, en mode ironique et frondeur : « est-ce que vous allez envoyer un DVD du film à Ludovine de la Rochère ? ». En effet, il est certainement moins innocent qu’Ozon a voulu nous le faire croire que ce film arrive maintenant sur les écrans. Adapté d’une nouvelle de
Ruth Rendell que le réalisateur voulait adapter depuis très longtemps, il s’en éloigne semble-t-il pas mal. Probablement du fait que le réalisateur a finalement écrit son scénario en plein débats sur le mariage pour tous, et l’enseignement de la théorie du genre à l’école. François Ozon se défend d’avoir fait un film principalement politique… mais avoue avoir forcément injecté pas mal de politique dans son récit. De fait, si
Une Nouvelle Amie existe et provoque le trouble en soi, il résonne aussi différemment dans le contexte actuel. Comme un plaidoyer pour le droit à la différence, contre la haine et le rejet, un regard honnête et ouvert sur les « nouvelles familles » et le genre. Et, sans que ce soit lourd et appuyé – bien au contraire – c’est bien un gros « fuck » à Christine Boutin, Belghoul et con-sorts.
Dans une autre question (rassurez-vous, je vais pas toutes les faire !
), le gars au micro commençait par dire que ce film l’avait « réconcilié avec le cinéma d’Ozon » - d’où la question du réalisateur demandant s’il était fâché avec lui avant. Pour ma part, sans être fâché avec celui que je considère toujours comme le meilleur réalisateur français actuel, il est vrai que ses derniers films m’avaient moins convaincu. J’avais trouvé
Jeune et Jolie très bien, mais sans retrouver le frisson des films ozonesques que j’adore ; j’avais pas aimé
Dans la Maison, par contre.
Potiche, c’est un peu
Huit Femmes en moins bien.
Le Refuge un peu
Le temps qui reste en moins bien...
Bref, tout ça pour dire que celui-là, c’est bien le retour du réalisateur à ses fondamentaux, et à mon avis son meilleur film depuis longtemps. J’y ai retrouvé tout ce que j’aime chez lui, sa vraie patte et son regard aigu sur l’histoire et les personnages. Il retrouve là son sens de la provocation discrète, sans avoir l’air d’y toucher. Et développe une atmosphère étrange qui baigne tout le film, avec son lot de scènes frappantes qui marquent les esprits ; culminant notamment dans une scène d’amour comme on en a rarement (jamais ?) vue jusque là. Le film bouscule sans cesse le spectateur dans son confort et ses certitudes ; et c’est justement ce que j’aime chez Ozon !
En plus, ici, le réalisateur procède à un mélange des genres inédit dans son cinéma – qui jusqu’ici collait toujours à un style unique au sein d’un film, même s’il changeait régulièrement d’un film à l’autre. On passe sans arrêt du registre du drame à la comédie, d’une ambiance lourde de thriller à la légèreté, d’une atmosphère presque fantastique au pur mélo. Il accumule des petits bouts de pleins de trucs qui semblent ne pas aller les uns avec les autres, et aboutit à un tout d’une grande cohérence.
Pareil pour le jeu des influences et des références, convoquant pêle-mêle le
Vertigo d’
Hitchcock,
Almodovar,
Xavier Dolan,
Certains l’aiment chaud (de son aveu après le film) voire
Mulholland Drive (d’après un spectateur). Là encore, ce n’est jamais lourd, genre « clin d’œil au spectateur, t’as vu un peu comment je connais mes classiques », mais totalement intégré dans le projet global du film.
La réussite du film doit aussi beaucoup aux acteurs, principalement
Romain Duris dans son double rôle et
Anaïs Demoustier, parfaite. Constamment à la limite de la caricature ou de l’archétype, sur le fil, ils arrivent toujours à trouver l’élément de jeu qui va permettre d’explorer les failles des personnages et d’illustrer les idées du scénario.
A noter aussi la musique très « Hermann-esque » de
Philippe Rombi.
Dommage néanmoins que le film ait recours à une facilité de scénario indigne à la fin, qui gâche un peu le plaisir qu’on peut y prendre (SPOILER le mec/femme qui se réveille du coma comme une fleur et sort de l’hosto dans la foulée FIN SPOILER on me fera pas croire qu’il y avait pas un moyen de faire autrement !).
Mais qui n’enlève pas grand-chose à la grande réussite du film !