Les députés ont adopté dans la nuit de jeudi à vendredi le premier article du projet de loi sur la refondation de l’école. Auparavant, droite et gauche se sont affrontées sur le redoublement, l’école à deux ans et la morale laïque. Des escarmouches plutôt polies où l’UMP a soigneusement évité toute allusion à son propre bilan éducatif...
Jeudi après-midi, ils étaient une soixantaine dans l’hémicycle pour débattre des quelque 600 amendements déposés. A droite, le député UMP des Yvelines Jacques Myard, membre de la Droite populaire, a tenu la vedette. Il a alterné les interventions argumentées, notamment sur la laïcité, avec des vannes beauf, sur «les petites Anglaises» et «les petites Allemandes» grâce auxquelles il a appris les langues - une méthode qu’il recommande...
Vincent Peillon, lui, s’est montré bien meilleur dans l’exercice policé du débat parlementaire que lors de ses déplacements en province, où il cite Condorcet pour convaincre les maire ruraux de passer à la semaine de quatre jours et demi. Patient et poli, avec même quelques pointes d’humour bien senties, il a défendu point à point son texte, ne laissant passer que quelques amendements de l’opposition.
Clivages sur le redoublement
Parmi les sujets les plus débattus, le redoublement. Le projet de loi recommande de «continuer de le réduire progressivement». Un amendement PS propose d’aller plus loin, en stipulant qu’il doit devenir un exception. Il sera adopté après un échange où l’on a vu que la coupure ne passait pas toujours par le clivage droite-gauche.
La députée chevènementiste de l’Aisne, Marie-Françoise Bechtel, qui ouvre le débat, fait part de ses doutes : «Eliminer le redoublement, je ne suis pas convaincue. Cela peut être une seconde chance donnée à l’élève, notamment en primaire. D’ailleurs sur la question, il y a autant d’avis que de spécialistes.»
Vincent Peillon reste sur sa ligne, dans l’entre-deux (comme pour les notes qu’il ne veut pas supprimer mais faire évoluer) : «Le redoublement peut avoir une utilité pédagogique, mais en beaucoup moins grand nombre qu’aujourd’hui.»
La droite se bat mollement sur ce point. Il faut dire que le prédécesseur UMP de Vincent Peillon, Luc Chatel, avait lui-même reconnu que la mesure était coûteuse et guère efficace.
Annie Genevard, députée UMP, préfère, pour limiter les redoublements, «l’accompagnement personnalisé des élèves», une marotte du ministre Luc Chatel. Mais ça tombe dans le vide. Un collègue de droite, ultra précis, enchaîne avec cette remarque sémantique : «Le terme redoublant est impropre, je propose doublant.» On rigole dans les travées. L’amendement, mis au vote, est adopté.
«Ne tombez pas dans l’idéologie»
Autre sujet chaud : la scolarisation des moins de trois ans. Elle a drastiquement diminué durant la présidence Sarkozy qui cherchait des économies à tout prix – de plus de 30% en 2000, elle est passée aujourd’hui à 11%. L’article 5 du projet de loi prévoit de la relancer, notamment dans les territoires défavorisés – quartiers sensibles, régions rurales isolées et outre mer. Un amendement de l’UMP prône sa suppression.
«L’accueil des moins de trois ans ne peut pas être une fin en soi», lance un député d’opposition. «Vous le présentez comme un objectif quantitatif plutôt que qualitatif, cela nous semble une mauvaise voie», lance un autre.
Yves Durand, le rapporteur PS du projet de loi, ancien prof comme bon nombre des députés présents, intervient alors : «Chacun sait que la scolarisation précoce est un élément de réussite, notamment pour les élèves en difficulté. Ne tombez pas dans l’idéologie. Vous, vous avez fait de la scolarisation des moins de trois ans une variable d’ajustement.»
Jacques Myard, décidément en forme, attrape le micro : «Si on m’avait dit à deux ans que je partais pour faire des études jusqu’à 25 ans, j’aurais trouvé ça dur...» Installés au premier balcon, les lycéens en visite à l’Assemblée apprécient. Mais le député UMP se montre au final accommodant : «S’il y a de la souplesse dans l’accueil, pourquoi pas. C’est vrai que pour inscrire des 2 ans et 8 mois...»
Sur la maternelle que Vincent Peillon veut réhabiliter, notamment avec la création d’un cycle de trois ans, la droite ergote. Mais sans jouer l’épreuve de force. Elle ne va pas jusqu’à citer Xavier Darcos, le prédécesseur de Luc Chatel sous Sarkozy, qui estimait qu’en maternelle, les instituteurs «passaient leur temps à changer les couches»...
«Les langues,ça ne s’apprend pas au CP»
Troisième sujet débattu : l’apprentissage d’une langue vivante dès le CP. Le projet de loi le rend obligatoire. La droite se bat, mais en ordre dispersé. Luc Chatel était un chaud partisan des langues à l’école – dès la maternelle même. Il avait d’ailleurs créé une commission, commandé (et obtenu) un rapport, sans que cela ne change grand-chose.
Jacques Myard, encore lui : «Je suis content de ne pas être en primaire. Avec tout ce que l’on leur fait ingurgiter, je serais mort.» Puis il lance sa diatribe graveleuse sur les langues : «Les langues, et j’en connais quelques unes, ça ne s’apprend pas au CP, ça s’apprend à partir de 15 ans quand on va voir les petites Anglaises... Je sais, vous allez encore me traiter de sexiste !»
Et ça ne rate pas. Une fois les huées retombées, une députée PS se lève et dénonce la remarque «parfaitement déplacée». «Amen», lance Myard depuis son banc.
Les partisans des langues régionales ne veulent pas être de reste. L’un d’eux, socialiste, proteste contre le projet de loi qui les met dans le même sac que les langues étrangères : «L’enseignement bilingue français-créole dès 3 ans est très efficace, c’est même une source de réussite.» Sur les travées de droite, les Alsaciens s’en mêlent. «En Alsace, l’Abibac a de très bons résultats», plaide l’UMP Frédéric Reiss, approuvé par Patrick Hetzel.
Mis au vote, l’amendement qui proposait de repousser l’apprentissage d’une langue en CE2 est repoussé... avec des renforts de droite.
Débat de haute volée sur la morale
Dernier débat, sur la morale laïque. Le ministre, grand spécialiste de Ferdinand Buisson, théoricien de l’école et de la laïcité, en est un adepte. Il l’a introduite dans le projet de loi, dans le cadre de l’enseignement moral et civique.
La droite n’a pas la même vision, avec des nuances en son sein. Pour résumer, elle est pour la morale, indispensable pour faire pièce à «l’ensauvagement» des enfants, et pour l’enseignement de la laïcité. Mais les deux termes accolés, pour elle, ça ne colle pas. Un amendement demande donc la suppression de la «morale laïque».
Le débat est ici de plus haute volée. Et Vincent Peillon réussit même à se faire applaudir. «La laïcité, ce n’est pas seulement un principe juridique, avec la loi de 1905 (de séparation de l’Eglise et de l’Etat), explique-t-il, c’est un ensemble de valeurs que l’on a renoncé à enseigner. Il n’y a pas de relativisme, tout ne se vaut pas. Il faut enseigner le devoir, le respect, la notion de personne, la morale commune. Il faut assumer ce que nous avons en commun. L’école instruit mais elle construit aussi, autour des valeurs de la République, liberté, égalité, fraternité et laïcité !»
Jacques Myard «le laïcard» comme il se définit, «fils d’une hussarde noire de la République», fait une ultime tentative : «Oui, il faut enseigner le principe de laïcité à l’école, mais la morale est une affaire personnelle.» L’amendement est rejeté. «Dommage», lance le vaincu.
Suit un amendement rédactionnel. Impossible d'«apposer» le drapeau tricolore sur la façade des écoles, comme l’écrit le texte de loi. Il devra «figurer». L’amendement est approuvé à l’unanimité, au nom du bon français.
(source : Libé)
Jeudi après-midi, ils étaient une soixantaine dans l’hémicycle pour débattre des quelque 600 amendements déposés. A droite, le député UMP des Yvelines Jacques Myard, membre de la Droite populaire, a tenu la vedette. Il a alterné les interventions argumentées, notamment sur la laïcité, avec des vannes beauf, sur «les petites Anglaises» et «les petites Allemandes» grâce auxquelles il a appris les langues - une méthode qu’il recommande...
Vincent Peillon, lui, s’est montré bien meilleur dans l’exercice policé du débat parlementaire que lors de ses déplacements en province, où il cite Condorcet pour convaincre les maire ruraux de passer à la semaine de quatre jours et demi. Patient et poli, avec même quelques pointes d’humour bien senties, il a défendu point à point son texte, ne laissant passer que quelques amendements de l’opposition.
Clivages sur le redoublement
Parmi les sujets les plus débattus, le redoublement. Le projet de loi recommande de «continuer de le réduire progressivement». Un amendement PS propose d’aller plus loin, en stipulant qu’il doit devenir un exception. Il sera adopté après un échange où l’on a vu que la coupure ne passait pas toujours par le clivage droite-gauche.
La députée chevènementiste de l’Aisne, Marie-Françoise Bechtel, qui ouvre le débat, fait part de ses doutes : «Eliminer le redoublement, je ne suis pas convaincue. Cela peut être une seconde chance donnée à l’élève, notamment en primaire. D’ailleurs sur la question, il y a autant d’avis que de spécialistes.»
Vincent Peillon reste sur sa ligne, dans l’entre-deux (comme pour les notes qu’il ne veut pas supprimer mais faire évoluer) : «Le redoublement peut avoir une utilité pédagogique, mais en beaucoup moins grand nombre qu’aujourd’hui.»
La droite se bat mollement sur ce point. Il faut dire que le prédécesseur UMP de Vincent Peillon, Luc Chatel, avait lui-même reconnu que la mesure était coûteuse et guère efficace.
Annie Genevard, députée UMP, préfère, pour limiter les redoublements, «l’accompagnement personnalisé des élèves», une marotte du ministre Luc Chatel. Mais ça tombe dans le vide. Un collègue de droite, ultra précis, enchaîne avec cette remarque sémantique : «Le terme redoublant est impropre, je propose doublant.» On rigole dans les travées. L’amendement, mis au vote, est adopté.
«Ne tombez pas dans l’idéologie»
Autre sujet chaud : la scolarisation des moins de trois ans. Elle a drastiquement diminué durant la présidence Sarkozy qui cherchait des économies à tout prix – de plus de 30% en 2000, elle est passée aujourd’hui à 11%. L’article 5 du projet de loi prévoit de la relancer, notamment dans les territoires défavorisés – quartiers sensibles, régions rurales isolées et outre mer. Un amendement de l’UMP prône sa suppression.
«L’accueil des moins de trois ans ne peut pas être une fin en soi», lance un député d’opposition. «Vous le présentez comme un objectif quantitatif plutôt que qualitatif, cela nous semble une mauvaise voie», lance un autre.
Yves Durand, le rapporteur PS du projet de loi, ancien prof comme bon nombre des députés présents, intervient alors : «Chacun sait que la scolarisation précoce est un élément de réussite, notamment pour les élèves en difficulté. Ne tombez pas dans l’idéologie. Vous, vous avez fait de la scolarisation des moins de trois ans une variable d’ajustement.»
Jacques Myard, décidément en forme, attrape le micro : «Si on m’avait dit à deux ans que je partais pour faire des études jusqu’à 25 ans, j’aurais trouvé ça dur...» Installés au premier balcon, les lycéens en visite à l’Assemblée apprécient. Mais le député UMP se montre au final accommodant : «S’il y a de la souplesse dans l’accueil, pourquoi pas. C’est vrai que pour inscrire des 2 ans et 8 mois...»
Sur la maternelle que Vincent Peillon veut réhabiliter, notamment avec la création d’un cycle de trois ans, la droite ergote. Mais sans jouer l’épreuve de force. Elle ne va pas jusqu’à citer Xavier Darcos, le prédécesseur de Luc Chatel sous Sarkozy, qui estimait qu’en maternelle, les instituteurs «passaient leur temps à changer les couches»...
«Les langues,ça ne s’apprend pas au CP»
Troisième sujet débattu : l’apprentissage d’une langue vivante dès le CP. Le projet de loi le rend obligatoire. La droite se bat, mais en ordre dispersé. Luc Chatel était un chaud partisan des langues à l’école – dès la maternelle même. Il avait d’ailleurs créé une commission, commandé (et obtenu) un rapport, sans que cela ne change grand-chose.
Jacques Myard, encore lui : «Je suis content de ne pas être en primaire. Avec tout ce que l’on leur fait ingurgiter, je serais mort.» Puis il lance sa diatribe graveleuse sur les langues : «Les langues, et j’en connais quelques unes, ça ne s’apprend pas au CP, ça s’apprend à partir de 15 ans quand on va voir les petites Anglaises... Je sais, vous allez encore me traiter de sexiste !»
Et ça ne rate pas. Une fois les huées retombées, une députée PS se lève et dénonce la remarque «parfaitement déplacée». «Amen», lance Myard depuis son banc.
Les partisans des langues régionales ne veulent pas être de reste. L’un d’eux, socialiste, proteste contre le projet de loi qui les met dans le même sac que les langues étrangères : «L’enseignement bilingue français-créole dès 3 ans est très efficace, c’est même une source de réussite.» Sur les travées de droite, les Alsaciens s’en mêlent. «En Alsace, l’Abibac a de très bons résultats», plaide l’UMP Frédéric Reiss, approuvé par Patrick Hetzel.
Mis au vote, l’amendement qui proposait de repousser l’apprentissage d’une langue en CE2 est repoussé... avec des renforts de droite.
Débat de haute volée sur la morale
Dernier débat, sur la morale laïque. Le ministre, grand spécialiste de Ferdinand Buisson, théoricien de l’école et de la laïcité, en est un adepte. Il l’a introduite dans le projet de loi, dans le cadre de l’enseignement moral et civique.
La droite n’a pas la même vision, avec des nuances en son sein. Pour résumer, elle est pour la morale, indispensable pour faire pièce à «l’ensauvagement» des enfants, et pour l’enseignement de la laïcité. Mais les deux termes accolés, pour elle, ça ne colle pas. Un amendement demande donc la suppression de la «morale laïque».
Le débat est ici de plus haute volée. Et Vincent Peillon réussit même à se faire applaudir. «La laïcité, ce n’est pas seulement un principe juridique, avec la loi de 1905 (de séparation de l’Eglise et de l’Etat), explique-t-il, c’est un ensemble de valeurs que l’on a renoncé à enseigner. Il n’y a pas de relativisme, tout ne se vaut pas. Il faut enseigner le devoir, le respect, la notion de personne, la morale commune. Il faut assumer ce que nous avons en commun. L’école instruit mais elle construit aussi, autour des valeurs de la République, liberté, égalité, fraternité et laïcité !»
Jacques Myard «le laïcard» comme il se définit, «fils d’une hussarde noire de la République», fait une ultime tentative : «Oui, il faut enseigner le principe de laïcité à l’école, mais la morale est une affaire personnelle.» L’amendement est rejeté. «Dommage», lance le vaincu.
Suit un amendement rédactionnel. Impossible d'«apposer» le drapeau tricolore sur la façade des écoles, comme l’écrit le texte de loi. Il devra «figurer». L’amendement est approuvé à l’unanimité, au nom du bon français.
(source : Libé)