Second livre lu suite au dossier "Rock et SF" de Bifrost (voir le topic sur Fugues), je l'ai encore moins regretté : c'est une grosse bombe, et même, osons le mot (ça fait longtemps que je ne l'emploi plus trop à tort et à travers), un chef d'oeuvre.
Un gros pavé de 700 pages, très personnel, qui a certainement été voulu par Wagner pour être son grand-oeuvre (et qui y réussit très bien)... et qui, malheureusement, le restera. Puisque l'auteur est mort dans un accident de voiture l'été dernier, partant sur ce livre monumental en forme de testament.
Il s'agit d'une uchronie dans laquelle le Général de Gaulle aurait été assassiné en 1962, et la guerre d'Algérie se serait terminée plus tard, et différemment. A partir de là, l'auteur brode 50 ans d'histoire française qui ne se serait pas déroulée comme dans notre réalité; et s'intéresse particulièrement (mais pas que, loin de là) à l'évolution de la musique rock française (et algérienne) durant cette période. L'axe principal de l'histoire tourne autour d'un collectionneur de disque découvre l'existence d'une perle rare des "Glorieux Fellaghas" enregistrée dans les années 60 et part en quête du précieux disque quasiment introuvable.
Mais ce n'est que la colonne vertébrale du livre, qui consiste en un ensemble de récits répartis sur les 50 ans de l'histoire, racontés dans le désordre, à la première personne sans qu'on sache toujours qui parle, avec une multitude de personnages. On a alors un roman polyphonique complexe à la structure captivante - dont chaque segment vient s'intégrer dans un grand tout solide et cohérent.
Au delà de l'uchronie, ce n'est finalement pas un roman de SF - pas comme "Le Maître du Haut-Chateau" par exemple, son modèle évident, qui ancrait son univers parallèle dans un monde SF. Là, ce sont les années 60 et 70 alternatives qui sont décrites, avec la même précision que le ferait un historien de "nos" années 60 et 70.
Si la guerre d'Algérie et la musique sont les thèmes principaux du livre, Wagner en brasse nombre d'autres au gré d'un livre très politique et social. Son monde lui permet évidemment de parler du notre - du racisme, de l'islam, de la guerre froide, des utopies, de la perte des repères et des valeurs, du passage à l'âge adulte, de la drogue, du psychédélisme, du rock, du punk, des évolutions technologiques, du téléchargement, des CD vs vinyl, et de bien d'autres choses encore. On y croise un Kennedy pas assassiné, un Albert Camus pas accidenté, Timothy Leary en exil à Biarritz, la course à la lune gagnée par les russes, Johnny Hallyday mort dans un attentat en Algérie en 65, un clône d'Hendrix, des Yardbirds plus célèbres que les Beatles qui ont splitté après deux 45 tours, une France tombée sous la dictature dans les années 70, une Commune d'Alger...
C'est tellement plein de bonnes choses que je ne peux pas en rendre compte ici; lisez le, c'est tout !
Du coup, j'enchaîne directement avec Le train de la réalité, et les morts du Général, pour le coup le véritable dernier livre écrit par Wagner. Un ensemble de textes éclatés situés dans le même univers que "Rêves de Gloire", qui reviennent sur certains aspects de l'histoire et ajoutent de nouveaux personnages et éléments à cette fresque déjà foisonnante.
De quoi prolonger encore un peu la visite de cette Algérie alternative absolument fascinante.
La critique de Bifrost, avec laquelle je suis 100% d'accord (et qui le dit mieux que moi).
Quand Roland C. Wagner décide de donner corps à ce qui est sans doute le plus ancien et le plus longuement mûri de ses projets, il n’y va pas avec le dos de la cuiller : fort de ses sept cents pages, Rêves de Gloire s’impose enfin sur les tables des librairies. La taille, pourtant, est bien la moins impressionnante des qualités de cette uchronie magistrale, la première à se pencher sur la guerre d’Algérie — et sur la France de ces cinquante dernières années.
De nos jours, à Alger, un collectionneur de disques découvre sur un site de vente aux enchères l’existence d’une pièce rare, l’unique 45 tours des improbables Glorieux Fellaghas. La quête de ce graal et les mystères qui l’entourent vont le pousser à s’intéresser de près aux évènements qui, de l’aube des années soixante à la fin des soixante-dix, ont régi les relations de la France, de l’Algérie et… de l’Algérois.
Quelques lignes en exergue du premier chapitre seront la seule concession à la manière uchronique « classique », celle, didactique, qui refait l’Histoire en la dévidant depuis un point de divergence unique. Car pour être symbolique, la fusillade qui coûte la vie au Général de Gaulle en octobre 1960 n’est ni le premier, ni le seul événement fondateur du roman. L’Algérie nouvelle qui se dessine au fil des pages doit ainsi tout autant à la mort du Général qu’à l’attentat raté contre Kennedy. Ou à la présence sur les plages de Biarritz, à l’été 64, d’un Timothy Leary aux poches pleines de fioles de Gloire. Ou encore à l’insurrection de Budapest en 56. Ou encore…
En multipliant les points de divergence, Wagner donne des bases solides à une réalité alternative particulièrement cohérente et réaliste, et plutôt que de la raconter, laisse la parole à ceux, innombrables, qui la font — et la vivent. Autour de quelques personnages récurrents et de l’intrigue « contemporaine », une multitude d’anonymes émergent ainsi du tourbillon des évènements, prêtant leurs voix au chœur le temps d’un souvenir, pour donner vie et cohérence à ce rêve d’Histoire entre contre-culture et barbouzeries. Dans ce concert ininterrompu de voix entrelacées, l’auteur n’oublie jamais que la langue même se doit d’être uchronique ; et cette structure polyphonique parfaitement maîtrisée s’avère être le véhicule idéal pour plonger sans douter au cœur de l’Histoire en marche et des dynamiques sociales, offrant un point de vue privilégié sur le processus uchronique lui-même.
Jamais Roland C. Wagner n’avait aussi bien marié ses passions et ses convictions. Soigneu-sement réinventés, le rock « psychodélique », les expérimentations sociales et les explora-tions psychotropes des sixties sont les piliers d’un roman vivant, ensoleillé et jubilatoire, qui confronte sans idéalisme des valeurs qu’on voudrait universelles à un regard incisif sur les sociétés contemporaines.
Fruit d’un savant équilibre entre pragmatisme et utopie, entre musique et politique, Rêves de Gloire, enthousiasmant de bout en bout, pose avec passion et humanité un regard neuf, sans tabous, sur un passé toujours sensible, sur les chemins qui s’ouvrent à nous et sur les pièges qui nous guettent.
Et l’uchronie gagne là l’une de ses plus belles pièces.
Un gros pavé de 700 pages, très personnel, qui a certainement été voulu par Wagner pour être son grand-oeuvre (et qui y réussit très bien)... et qui, malheureusement, le restera. Puisque l'auteur est mort dans un accident de voiture l'été dernier, partant sur ce livre monumental en forme de testament.
Il s'agit d'une uchronie dans laquelle le Général de Gaulle aurait été assassiné en 1962, et la guerre d'Algérie se serait terminée plus tard, et différemment. A partir de là, l'auteur brode 50 ans d'histoire française qui ne se serait pas déroulée comme dans notre réalité; et s'intéresse particulièrement (mais pas que, loin de là) à l'évolution de la musique rock française (et algérienne) durant cette période. L'axe principal de l'histoire tourne autour d'un collectionneur de disque découvre l'existence d'une perle rare des "Glorieux Fellaghas" enregistrée dans les années 60 et part en quête du précieux disque quasiment introuvable.
Mais ce n'est que la colonne vertébrale du livre, qui consiste en un ensemble de récits répartis sur les 50 ans de l'histoire, racontés dans le désordre, à la première personne sans qu'on sache toujours qui parle, avec une multitude de personnages. On a alors un roman polyphonique complexe à la structure captivante - dont chaque segment vient s'intégrer dans un grand tout solide et cohérent.
Au delà de l'uchronie, ce n'est finalement pas un roman de SF - pas comme "Le Maître du Haut-Chateau" par exemple, son modèle évident, qui ancrait son univers parallèle dans un monde SF. Là, ce sont les années 60 et 70 alternatives qui sont décrites, avec la même précision que le ferait un historien de "nos" années 60 et 70.
Si la guerre d'Algérie et la musique sont les thèmes principaux du livre, Wagner en brasse nombre d'autres au gré d'un livre très politique et social. Son monde lui permet évidemment de parler du notre - du racisme, de l'islam, de la guerre froide, des utopies, de la perte des repères et des valeurs, du passage à l'âge adulte, de la drogue, du psychédélisme, du rock, du punk, des évolutions technologiques, du téléchargement, des CD vs vinyl, et de bien d'autres choses encore. On y croise un Kennedy pas assassiné, un Albert Camus pas accidenté, Timothy Leary en exil à Biarritz, la course à la lune gagnée par les russes, Johnny Hallyday mort dans un attentat en Algérie en 65, un clône d'Hendrix, des Yardbirds plus célèbres que les Beatles qui ont splitté après deux 45 tours, une France tombée sous la dictature dans les années 70, une Commune d'Alger...
C'est tellement plein de bonnes choses que je ne peux pas en rendre compte ici; lisez le, c'est tout !
Du coup, j'enchaîne directement avec Le train de la réalité, et les morts du Général, pour le coup le véritable dernier livre écrit par Wagner. Un ensemble de textes éclatés situés dans le même univers que "Rêves de Gloire", qui reviennent sur certains aspects de l'histoire et ajoutent de nouveaux personnages et éléments à cette fresque déjà foisonnante.
De quoi prolonger encore un peu la visite de cette Algérie alternative absolument fascinante.
La critique de Bifrost, avec laquelle je suis 100% d'accord (et qui le dit mieux que moi).
Quand Roland C. Wagner décide de donner corps à ce qui est sans doute le plus ancien et le plus longuement mûri de ses projets, il n’y va pas avec le dos de la cuiller : fort de ses sept cents pages, Rêves de Gloire s’impose enfin sur les tables des librairies. La taille, pourtant, est bien la moins impressionnante des qualités de cette uchronie magistrale, la première à se pencher sur la guerre d’Algérie — et sur la France de ces cinquante dernières années.
De nos jours, à Alger, un collectionneur de disques découvre sur un site de vente aux enchères l’existence d’une pièce rare, l’unique 45 tours des improbables Glorieux Fellaghas. La quête de ce graal et les mystères qui l’entourent vont le pousser à s’intéresser de près aux évènements qui, de l’aube des années soixante à la fin des soixante-dix, ont régi les relations de la France, de l’Algérie et… de l’Algérois.
Quelques lignes en exergue du premier chapitre seront la seule concession à la manière uchronique « classique », celle, didactique, qui refait l’Histoire en la dévidant depuis un point de divergence unique. Car pour être symbolique, la fusillade qui coûte la vie au Général de Gaulle en octobre 1960 n’est ni le premier, ni le seul événement fondateur du roman. L’Algérie nouvelle qui se dessine au fil des pages doit ainsi tout autant à la mort du Général qu’à l’attentat raté contre Kennedy. Ou à la présence sur les plages de Biarritz, à l’été 64, d’un Timothy Leary aux poches pleines de fioles de Gloire. Ou encore à l’insurrection de Budapest en 56. Ou encore…
En multipliant les points de divergence, Wagner donne des bases solides à une réalité alternative particulièrement cohérente et réaliste, et plutôt que de la raconter, laisse la parole à ceux, innombrables, qui la font — et la vivent. Autour de quelques personnages récurrents et de l’intrigue « contemporaine », une multitude d’anonymes émergent ainsi du tourbillon des évènements, prêtant leurs voix au chœur le temps d’un souvenir, pour donner vie et cohérence à ce rêve d’Histoire entre contre-culture et barbouzeries. Dans ce concert ininterrompu de voix entrelacées, l’auteur n’oublie jamais que la langue même se doit d’être uchronique ; et cette structure polyphonique parfaitement maîtrisée s’avère être le véhicule idéal pour plonger sans douter au cœur de l’Histoire en marche et des dynamiques sociales, offrant un point de vue privilégié sur le processus uchronique lui-même.
Jamais Roland C. Wagner n’avait aussi bien marié ses passions et ses convictions. Soigneu-sement réinventés, le rock « psychodélique », les expérimentations sociales et les explora-tions psychotropes des sixties sont les piliers d’un roman vivant, ensoleillé et jubilatoire, qui confronte sans idéalisme des valeurs qu’on voudrait universelles à un regard incisif sur les sociétés contemporaines.
Fruit d’un savant équilibre entre pragmatisme et utopie, entre musique et politique, Rêves de Gloire, enthousiasmant de bout en bout, pose avec passion et humanité un regard neuf, sans tabous, sur un passé toujours sensible, sur les chemins qui s’ouvrent à nous et sur les pièges qui nous guettent.
Et l’uchronie gagne là l’une de ses plus belles pièces.
Dernière édition par Phil le Dim 24 Mar - 11:47, édité 1 fois