J'aurais pu en parler rapidement dans les critiques en vrac, mais je préfère singulariser ce HEREDITARY, premier film signé de l'inconnu Ari Aster, parce que ça vaut largement qu'on s'y arrête. Y compris parce que le film divise ceux qui l'ont vu - Stanley Lubrick viendra peut-être nous dire ici qu'il a trouvé ça particulièrement chiant
Depuis sa présentation à Sundance au début de cette année, le film génère un gros buzz dans la comunauté fantasticophile et ailleurs. "Le nouveau Shining", "le nouveau Rosemary's Baby", "le film qui va vous faire flipper comme rarement" etc... Ou un pétard mouillé prétentieux et longuet, qui se complaît dans une psychanalyse de bazar et foire ses effets horrifiques.
Pour ma part, j'ai choisi mon camp : je fait partie des conquis, et même bien au-delà ! J'ai trouvé ça absolument mortel.
Déjà, parce que, comme ses illustres prédécesseurs auxquels il est comparé (ajoutons aussi L'Exorciste ou Le Locataire), c'est un film d'horreur adulte; ce qui est déjà appréciable en soi, mais l'est encore plus en cette période où le cinéma de genre s'adresse en priorité aux ados américains. J'aime beaucoup certains grands films d'horreur de ces dernières années, genre It Follows ou Get Out - mais même ceux-là s'adressent au même public. Ils sont juste plus réussis. Là, non : même si une grande part du film est axée sur les enfants ados de la famille centrale (et surtout le garçon), tout est montré du point de vue de la mère, avec des thématiques tournant autour de la famille et de la parentalité (de l'hérédité, surtout - pour une fois le titre du film est particulièrement approprié).
(pour être honnête, il y a bien un autre film récent auquel celui-ci pourrait être comparé, mais je ne vais pas le citer histoire de ne pas trop spoiler - les deux ayant une explication comparable – allez, à vos risques et périls
- Spoiler:
- The Witch
Le film est clairement découpé en deux parties - ce qui lui est aussi parfois reproché. La première moitié n'a quasiment aucun aspect surnaturel, et ne prétend pas faire peur. C'est plutôt l'analyse psychologique d'une famille dysfonctionnelle au passé très très très chargé, s'attardant sur les failles de chacun et leur impossibilité à vivre "normalement". Le fait que ça ne soit pas tourné vers la terreur n'implique pas que ce soit léger; bien au contraire ! Cette première moitié est d'une noirceur éprouvante, impose une atmosphère étouffante, et frappe finalement le spectateur bien plus qu'une accumulation d'effets horrifiques. Ou fera naître un ennui profond, c'est selon.
Dans la deuxième moitié, on plonge par contre dans le pur film d'horreur. L'ambiance reste hyper chargée, et le film refuse les effets faciles type jump-scares. C'est ce qui le distingue du tout venant de la production - à savoir que ses effets reposent essentiellement sur la mise en scène, la préparation de l'effet en amont, plutôt que le recours au truc facile qu'on subit partout ailleurs. Ce qui, finalement, est l'essence même du cinéma en général, et du cinéma d'épouvante en particulier : la manipulation du spectateur par des effets de mise en scène. Ça peut sembler bateau, mais combien de films "grand public" en 2018 se soucient d'être un tant soit peu réalisés ? Peu; et le fait qu'on assiste à ça dans un premier film aussi maîtrisé est vraiment impressionnant. Ce Ari Aster est incontestablement un gars à suivre.
Un autre aspect fondamental du cinéma d'horreur est que ce genre travaille sur le grotesque et l'hypertrophie. Au risque de sombrer parfois (souvent) dans le ridicule. C'est un autre point sur lequel les détracteurs du film ne seront pas d'accord, mais en ce qui me concerne, l'autre force du film est de toujours se tenir sur la corde raide... et de ne jamais tomber du côté du ridicule; alors que c'est souvent de justesse.
Résultat : le film fait vraiment peur - ça faisait combien de temps qu'on n'avait pas été aussi déstabilisé et mal à l'aise au cinéma ? Un bon moment... La peur prenant différentes formes, de l'angoisse sourde du début du film à la terreur métaphysique de la fin.
Il faut redire qu'il y a une ambition dans la mise en scène, les cadrages, la photo - qui est certainement à l'origine des comparaisons avec le chef d'oeuvre horrifique de Kubrick. Ce n'est évidemment pas d'un tel niveau; mais ces comparaisons sont en effet totalement logiques et assez légitimes (on y pense à de nombreuses reprises pendant le visionnage). Le film s'efforce aussi de jouer dans la même catégorie de films "énormes" dépassant les limites du genre, notamment par sa durée anormalement longue, 2h06.
Au-delà de ça, la musique signée Colin Stetson participe pleinement à l'ambiance, entre minimalisme atonal et grandiloquence.
Et, évidemment, les acteurs sont aussi un élément indispensable à la réussite du film. Gabriel Byrne au jeu intériorisé qui a l'air de ne rien faire mais en fait au contraire énormément, Ann Dowd - presque une erreur de casting en lien avec son rôle dans Handmaid's Tale mais qui est superbe, le jeune Alex Wolff impressionnant, l'étrange et inquiétante Milly Shapiro... et surtout Toni Colette, qui trouve là le prolongement de son rôle de mère désemparée dans Sixième Sens - et le meilleur rôle de sa carrière à égalité avec le Shyamou, justement.
Bref, fiez-vous plutôt à la grosse hype autour du film plutôt qu'aux mauvaises langues, et foncez voir HEREDITARY au ciné !
De toute façon, que vous fassiez partie des conquis ou des déçus, l'expérience vaut le détour.
Dernière édition par Phil le Dim 6 Oct - 22:38, édité 1 fois