Un nouveau et long article sur ASI, qui enfonce un peu plus le coup sur les dérives de la télé-réalité...
Il aura fallu attendre le suicide du médecin de Koh-Lanta pour qu'Adventure Line Productions (ALP), fournisse un récit chronologique, avec des horaires, du drame qui a coûté à la vie à Gérald Babin. Ce récit, c'est Franck Firmin-Guion qui l'a fait sur le plateau du grand journal de Canal+ le 2 avril. Une émission produite par KM, une filiale de Zodiak Media Group, laquelle détient également... ALP, le producteur de Koh-Lanta. A entendre Firmin-Guion, ce récit est censé dédouaner la production de toute responsabilité (le médecin, décédé, apparaît d'ailleurs systématiquement en première ligne). Que répondre face aux témoignages anonymes ? "Les faits, rien que les faits", soutient le producteur, accompagné par un camarade de jeu de Babin. "Le jeu a commencé à 12h47. A 13h01, Gérald, pris de crampe, lâche la corde. Je tiens à préciser qu'il est absolument conscient jusqu'à la fin du jeu, , explique Firmin-Guion. Le jeu se poursuit, car s'il regagne le jeu, s'il reprend sa place, il peut faire gagner son équipe. Il parle d'ailleurs à ce moment-là à l'animateur. Donc pour nous, on ne détecte rien d'important. Le jeu se poursuit, pendant quatre minutes, et ensuite, le médecin, Thierry Costa, intervient tout de suite après".
Mis en observation pendant 2h, Babin est ensuite évacué par bateau vers l'infirmerie. Jusqu'à son arrêt cardiaque survenu en mer, le producteur considère qu'on est "dans un cas très classique" d'un candidat qui a besoin de repos. Preuve selon lui qu'il n'y a pas eu de négligence : Firmin-Guion assure que l'hélicoptère a mis neuf minutes pour évacuer Babin vers l'hôpital après son premier arrêt cardiaque. Une version qui dédouane la production ? En réalité, ce récit valide en creux une grande partie de notre récit.
Seul problème de ce récit "officiel" : il manque de nombreuses étapes. Grâce à six nouveaux témoignages, recueillis sous le sceau de l'anonymat (mais @si connaît l'identité de chacun d'entre eux), nous avons pu combler les trous.
Ce vendredi 22 mars, lorsque les candidats de Koh-Lanta débutent l'aventure vers 7h30 du matin dans une île du Cambodge, la fatigue pèse déjà sur les organismes. Et pour cause, les candidats sont partis de Paris le mercredi à 11h du matin. Et ils ont enchaîné près de 16 heures d'avion avec escales (Paris-Singapour, puis Singapour-Phnom Penh), plus 4 heures de bus pour rejoindre leur hôtel. Après ce long périple, cette première nuit sera très courte: on les réveille à 3 heures du matin pour partir sur le site du jeu lors du premier jour de tournage. Ils sont donc en plein décalage horaire et n'ont pas pu récupérer. Rien de tel qu'une nage en pleine mer pour se mettre en jambe !
C'est vers 7h30, ce vendredi 22 mars, que débute le naufrage, l'épreuve qui consiste pour les candidats à parcourir environ 200 mètres à la nage pour se rendre sur l'île du jeu. L'épreuve suivante, le jeu du tir à la corde par équipes, ne débute que cinq heures plus tard, à 12h47 selon Firmin-Guion. Entre-temps, d'après plusieurs témoignages, les candidats restent en plein soleil sous 40°C. Une chaleur tellement étouffante que deux techniciens ont raconté par la suite avoir été eux-mêmes au bord du malaise alors qu'ils pouvaient s'abriter sous les tentes de la régie. Ce qui n'est pas le cas des candidats : d'après nos informations, faute de parasols et de coin d'ombre sur un banc de sable où la végétation est quasiment absente, la production n'a pu dérouler qu'une simple bâche pour l'équipe des Rouges, et a mis du temps pour en trouver une deuxième afin de protéger les Jaunes du soleil. Pourquoi les candidats ont-ils cuit autant de temps en plein soleil avant le début de la deuxième épreuve ? Tout simplement parce que les équipes de production réalisaient, pendant ce laps de temps, "des plateaux". C'est-à-dire des séquences censées être diffusées lors du premier numéro du jeu : présentation des candidats, premières impressions, premières affinités, présentation des règles. D'après plusieurs membres de l'équipe de production, ces "plateaux" se sont éternisés.
C'est donc après cinq heures d'attente sous un soleil de plomb que débute l'épreuve de la corde. D'après deux témoins, Gérald Babin montre des signes de faiblesse dès le début du jeu, avant de s'effondrer à 13h01, selon un rapport de la production. Quelle est la réaction de la production ? Par deux fois, le médecin Thierry Costa est bien empêché d'intervenir. La première fois, l'intervention est jugée prématurée, impression confirmée par Denis Brogniart qui s'est approché du candidat en lui parlant pour s'assurer qu'il n'avait pas perdu connaissance. Le malaise n'est alors pas jugé suffisamment sérieux pour interrompre le jeu. La deuxième fois, c'est parce que la production souhaite attendre la fin du jeu, quatre minutes plus tard.
Ce récit nous a été confirmé par trois témoins. Certes, il ne se passe que quelques minutes et rien n'indique que ce contre-temps a été fatal au candidat, ou qu'une intervention plus rapide aurait permis de le sauver. Il n'en reste pas moins que, de l'avis de ces témoins, par cette chaleur, cette non-intervention paraît interminable. Et surtout incompréhensible : comment se fait-il que Denis Brogniart ait pu être considéré comme un avis légitime pour juger de la gravité des premiers signes du malaise ? Pourquoi aucun des techniciens n'a-t-il spontanément arrêté le jeu ? Pourquoi le médecin n'a-t-il pas décidé de passer outre la décision de la production ? Autant de questions qui reflètent pour le moins, lors de cette première journée de tournage, une baisse de vigilance après 13 années de Koh-Lanta. L'habitude de gérer des petits coups de pompe peut-être. Une défaillance collective sans doute. C'est ce sentiment, empreint de culpabilité, qui domine dans les témoignages recueillis par @si.
La suite est un peu différente de notre premier récit. Contrairement à ce que nous avions écrit dans notre premier article, le médecin n'a pas rejoué la scène de son intervention. En revanche, il a bien rejoué une scène, mais lors d'une autre séquence. Lorsque le médecin Thierry Costa diagnostique une déshydratation, la décision d'évacuer Babin de l'île n'est pas encore prise. Ce dernier est emmené à l'écart, à l'ombre, pendant deux heures, pour qu'il récupère. De l'avis de plusieurs de nos témoins, cette mise à l'écart démontre que la gravité du malaise de Babin n'est toujours pas détectée. Car sur ce banc de sable où la température dépasse les 40°, la recherche d'un abri est peine perdue. C'est au cours de ces deux heures que le médecin a retourné une séquence au cours de laquelle il débriefe son intervention. Pourquoi a-t-il rejoué la scène ? En raison d'un problème de cadrage et de son. Pendant ce temps, Gérald Babin se repose. En parallèle, le jeu continue, des plateaux sont tournés et... les équipes Rouge et Jaune sont envoyées sur leur camp. Autrement-dit, la production a décidé d'évacuer les autres candidats avant Gérald Babin. Rien d'étonnant selon plusieurs témoins : le tournage a pris du retard. Or, ce premier jour est crucial car il faut tourner des images de l'installation des équipes sur leur camp.
A ce moment là, le médecin, Thierry Costa, est au côté de Gérald Babin, qui se repose. Après deux heures passées à l'ombre (il y fait 43°C) et le départ des autres candidats de l'île du jeu, il est décidé d'évacuer le candidat vers l'infirmerie qui se trouve à environ 1h30 de bateau. C'est pendant ce transfert que Gérald Babin fait son premier malaise cardiaque. Quatre personnes sont alors sur le bateau : le médecin, Thierry Costa, le régisseur Lionel Bonnet, le pilote du bateau, qui est cambodgien, et Babin. Selon des confidences recueillies auprès de la production, Costa et le régisseur n'avaient effectivement pas le numéro de portable de la compagnie d'hélicoptère. Ont-ils perdu beaucoup de temps ? La production assure que non, sans toutefois préciser à quelle heure exacte l'hélicoptère a pu récupérer Babin sur l'île la plus proche. Aujourd'hui, seuls le pilote cambodgien et le régisseur connaissent la vérité.
Ce récit détaillé du drame, recoupé par de nombreux témoignages, met donc le doigt sur toute une série de dysfonctionnements liés peut-être à l'habitude, à un manque de vigilance collective. Mais aussi à une impréparation des équipes de production. Car de l'avis de nombreux témoins, rien n'était prêt, ce vendredi 22 mars, pour accueillir les candidats dans des conditions de sécurité optimales.
Et pour cause. Cette treizième saison de Koh-Lanta devait se tenir en Birmanie, destination prévue par la production jusque fin novembre. Les autorisations de tournage sont confirmées, les vols sont bookés et le camp de base est lui aussi prêt. Bref, tout est calé, mais un rendez-vous à TF1 met fin à cette idée: pour la Une, impossible en effet de tourner Koh-Lanta dans un pays en transition démocratique où subsistent de fortes tensions religieuses... Ainsi, ALP doit se retourner et trouver rapidement un nouveau lieu. Le Cambodge est choisi. Problème : en janvier, rien n’est prêt, il faut construire les bungalows et faire de nombreux repérages pour le tournage. Le départ pour le Cambodge est repoussé. Prévu initialement le 5 février, il aura finalement lieu le 18 mars. Le 18 mars, c’est la date butoir. Pourquoi ? Tout simplement parce qu’ALP ne veut pas que les quarante deux jours de tournage ne débordent sur les jours fériés du mois de mai. En effet, tourner ces jours-là fait s’envoler le budget du tournage puisque ces jours sont payés doubles.
Pis, selon de nombreux témoins, lorsque débute l'émission, le 22 mars, tout n'est pas ajusté. Ainsi, par exemple, les bungalows - sur le camp de base de l'équipe - ne sont pas tous construits et certains n'ont pas encore d'eau chaude. D’ailleurs certains membres de l’équipe logent au Sokkha Beach Resort en attendant que les derniers bungalows soient terminés. Décidément, sur ce tournage rien n'est prêt. Nos témoins nous confirment que les parasols n'ont pas été livrés, d'où l'utilisation des bâches. Plus révélateur encore, l'infirmerie - située à 1h30 environ de bateau de l'île du jeu selon les dires de la production - n'est pas prête non plus. De plus, deux témoins expliquent que l'infirmerie est, en fait, une tente avec un lit et une perfusion. Du premier secours en somme. Au moment du malaise de Gérald, des membres de l’équipe vont même finir de préparer ladite infirmerie. Ainsi, entre l’impréparation réelle et les habitudes prises depuis douze éditions sans compter les trois éditions spéciales, la vigilance de l’ensemble de l’équipe de production est mise à mal.
Les autres éléments de compréhension que nous apportent nos témoins concernent le suicide de Thierry Costa. Reprenons la chronologie. Gérald décède le vendredi 22 mars. Le choc est rude. Mais le « doc », ainsi que l’appellent les membres de l’équipe prend tout sur ses épaules. Il gère l’annonce de la mort de Gérald aux candidats, mais aussi à l’ensemble de l’équipe de production. Quelques jours plus tard, Thierry Costa rencontre la famille de Gérald. Ensemble, ils retournent sur l’île du jeu, pour voir le lieu où Babin a fait son malaise.
Une psychologue arrivée de Paris avec la famille est là, mais c’est bel et bien Thierry Costa qui explique, raconte, détaille et justifie parfois son action. Bref, il revit complètement le drame. Le jeudi matin, quasiment une semaine après le drame, la famille de Gérald ainsi que Franck Firmin-Guion et Denis Brogniart rentrent à Paris. Costa, lui, décide de rester sur place et se donne la mort le lundi 1er avril. Il laisse une lettre dans laquelle il écrit : "Ces derniers jours mon nom a été salie dans les médias. Des accusations et suppositions injustes ont été proférées à mon encontre". Avant d'ajouter : "Je n'oserai plus croiser un regard en France sans que je me pose la question de savoir s'il est rempli de méfiance envers moi. Je m'endors serein ce soir sans aucune rancoeur même contre les médias".
Ce vendredi 5 avril, le parquet de Créteil a livré les conclusions du pré-rapport d'autopsie de Gérald Babin, indiquant que le candidat était mort d'une "défaillance cardiaque sur cardiopathie dilatée". Selon le Pr Mounier-Vehier, cardiologue, chef du service de médecine vasculaire et hypertension artérielle au CHRU de Lille, cité par l'AFP,"en état de base ou avec un effort normal, la personne peut être asymptomatique (à savoir ne rien ressentir d'anormal). Mais si s'ajoute une grosse dose de stress, cela peut faire dérailler une machine".