Il y avait une sacrée pression sur la pauvre Jo Walton avant que j’entame la lecture de ce MORWENNA récemment sorti chez Lunes d’Encre ! Déjà parce que le livre nous arrive auréolé des plus prestigieuses récompenses de la SF, à savoir le Prix Hugo, le Nebulla, et le British Fantasy Award ; rien que ça. Ensuite parce que Cyrillou (qui me l’a offert et que je ne remercierai jamais assez pour ça) m’en avait parlé comme d’un livre énorme, puis en avait dit ici : « Morwenna de Jo walton me bouleverse. Je ne trouve pas d'autre mot. Il ne me reste que 60 pages et quitter ce livre est déjà un crève cœur. »
Tout cela fait que je m’attendais à un chef d’œuvre dès les premières lignes, et que le livre risquait de décevoir même s’il avait été ne serait-ce que moitié aussi bon qu’attendu…
Et bien non, foin de déception ; ce livre est en effet une pure merveille ! Et même plus que ça, puisqu’il s’adresse directement au cœur et aux tripes de tout lecteur de SF et de Fantasy ; tout en étant universel dans le même temps.
Le livre est écrit sous la forme du journal intime d’une jeune fille de 15 ans. Après un accident qui a causé la mort de sa sœur jumelle, elle « fuit » à la fois sa mère qu’elle dit être une sorcière, et le Pays de Galles où elle a toujours vécu. Et se retrouve en Angleterre sous la responsabilité d’un père qui les a abandonnées bébés et de ses trois sœurs vieilles filles. Placée dans une pension stricte, elle s’évade dans la lecture de romans de science-fiction et dans ses conversations avec les fées de la campagne environnante.
Outre les aspects inhérents au livre sur lequel je reviendrai après, c’est « marrant » : ça fait 2 livres que je lis presque de suite, après le Talulla de Glen Duncan, qui me paraissent être des « anti Twilight », comme s’il y avait un front qui se format dans la fantasy actuelle pour lutter contre les conneries mormones. Là, en effet, il n’y a qu’à voir la couverture assez cucul reproduite plus haut, et aussi la « traduction » du titre du livre, à laquelle on peut préférer l’original et bien plus puissant Among Others. Ajouté au fait que c’est « le journal intime d’une ado qui parle avec des fées », on se dit au départ que ça va être une truc pour gamines pré-pubères amoureuses d’Edward Cullen.
Que nenni, bien au contraire ! Morwenna est un récit sensible, intelligent, qui ne prend ni ses lecteurs ni ses personnages pour des débiles profonds. C’est même, d’un point de vue stylistique et narratif, l’opposé de la bit-lit décérébrée. Ne serait-ce que dans la « concision » du récit : le livre fait quand même un peu plus de 300 pages, mais il n’y a pas un pet de gras. Et Walton crée son univers de fantasy avec une grande intelligence, le traitant comme s’il était réel en se positionnant toujours à la bonne distance par rapport à ce qu’elle raconte. Pareil pour le personnage de la mère/sorcière et des événements qui ont entrainé la mort de la sœur jumelle – jamais appuyés inutilement, et qui conservent tout leur mystère jusqu’aux dernière pages.
Le livre est sans cesse captivant, nous entraînant dans les (més)aventures de son héroïne auxquelles on a l’impression de participer autant qu’elle. Emouvant, drôle, plein d’idées, comportant de belles scènes de pur fantastique… et de surcroit très bien écrit (et traduit, pas par Nadine – mais il y a quelques coquilles quand même).
Mais surtout, c’est une déclaration d’amour au genre. Un livre qui va « parler » à chaque lecteur qui, comme son personnage principal, a dévoré depuis tout petit de la SF et du fantastique (autant dire pas mal de monde ici). A travers la passion de la jeune fille pour Silverberg, Delany, Zelazny, Tolkien et tant d’autres, à travers ses comptes-rendus de lectures couchées dans son journal intime, à travers les discussions passionnées du club de lecture, à travers les déambulations dans les bibliothèques et les librairies, etc, le livre se fait sans cesse l’écho des propres souvenirs et du vécu du lecteur. Pas de mise en abyme lourdingue ici, plutôt comme une longue conversation familière et passionnée avec une auteure qui semble nous connaître personnellement.
Et à travers ça, ce qui m’a le plus touché, c’est ce que Jo Walton semble nous dire, à nous les lecteurs invétérés, les compulsifs, les dévoreurs de papier, et particulièrement les rêveurs d’autres mondes. Elle nous dit qu’on a « raison », que c’est nous les « bonnes personnes », qu’il faut croire aux fées et aux extraterrestres parce qu’ils existent et rendent le monde plus beau, que les mondes de fantasy et de science-fiction sont plus beaux que notre vilain monde réel.
Et c’est magnifique.