Article intéressant sur ASI :
Stéphane Richard, patron d’Orange, voit rouge et affiche sa colère. Hier, dans le JT de 20 heures sur France 2, il assure que l’offre de Free, c’est du vent et ajoute : "ce n’est pas difficile de donner gratuitement (sic) quelque chose qui n’existe pas". Sur RTL au micro de Marc-Olivier Fogiel, Richard dégaine encore : "ce n’est pas de la 4G, c’est de la 3G. Il faut arrêter de prendre les gens pour des andouilles". Objet de son courroux ? Free vient de lancer son réseau 4G sans augmenter ses tarifs. Du coup, son offre très haut débit est à ce jour la plus intéressante, et de loin. Selon le JT de France 2, Orange propose sa 4G à 40,99 euros, Bouygues et SFR à 30,99 euros quand Free se lance à 19,99 euros. Quand on sait qu’Orange a déployé pour son offre 4G une campagne de communication gigantesque, et gorgée d'innovations publirédactionnelles on comprend mieux la déconvenue de son patron.
Ce qui s’explique moins bien, ce sont les gros yeux d’Arnaud Montebourg et Fleur Pellerin, respectivement ministre du Redressement productif et ministre déléguée en charge des télécommunications. Dans un communiqué publié hier, si les deux ministres considèrent l’offre de Free comme "un pari audacieux et risqué", le reste est à charge : "une stratégie low-cost conduit nécessairement à un sous investissement dans les infrastructures, à une dégradation du service rendu et à des destructions d’emplois. L’offre de 4G dans son ensemble risque d’apparaître douteuse aux yeux des consommateurs, si la qualité de service n’était pas au rendez-vous, ou si la couverture s’avérait insuffisante sur de larges parts du territoire français". Déjà la veille, Pellerin avait cosigné (cette fois avec Benoît Hamon, ministre délégué chargé de la Consommation), un premier communiqué, sorte de mise en garde : "À l'approche des fêtes de fin d'année, période pendant laquelle les Français sont fortement sollicités pour renouveler leurs forfaits de téléphonie mobile, [les ministres] rappellent les obligations de transparence et d'informations préalables auxquelles sont soumis les opérateurs envers les consommateurs" et notamment "les services de très haut débit mobile 4G lancés récemment, et dont la couverture peut varier du simple au triple en fonction de l’opérateur". Suivez mon regard.
Deux communiqués en deux jours, Bercy est sur le pont. Pourtant, on a connu Fleur Pellerin plus clémente à l'égard de Free, notamment dans cette interview accordée aux Echos, où elle estimait que "l'impact de Free Mobile a été positif pour le pouvoir d'achat des Français. Les opérateurs en place ont été poussés à repenser leur modèle, leurs offres commerciales, à mieux répondre aux besoins des consommateurs". De même, elle affirmait que "les conséquences sur l'emploi ne sont pas uniquement imputables à l'arrivée de Free. Le nouvel opérateur mobile a eu parfois bon dos", en servant de "bouc émissaire."
Les conséquences sur l'emploi ? C’est l’inquiétude soulevée mardi soir par Jean-Michel Aphatie sur le plateau du Grand journal de Canal+ (filiale de SFR, concurrente de Free) qui invitait la ministre.
Free accusé d'être à l’origine de pertes d’emploi en France : c'est un vieux débat qui a déjà fait rage en 2012. L’épisode, raconté ici, a opposé Xavier Niel, patron de Free, et Bruno Deffains, universitaire et auteur d’un article publié dans Les Echos. Ce dernier estimait que l’arrivée de Free dans le secteur de la téléphonie mobile était destructrice d’emplois.
Niel a peu apprécié les conclusions de l’universitaire et l’a carrément poursuivi en justice, le soupçonnant d’accointance avec Orange, Bouygues et SFR (Niel a été depuis débouté). Des concurrents qui, en effet, n'hésitent pas à agiter la menace des suppressions de postes pour amadouer le gouvernement. Free a néanmoins répliqué en mandatant un consultant dont l’étude concluait, ô surprise, que Free Mobile favorisait la création d'emplois.
L'intervention de Montebourg a suscité la stupeur de François Lenglet ce matin sur RTL qui réplique, en gros, par un de quoi je me mêle : "qu’Arnaud Montebourg prenne partie à ce point dans la concurrence entre des sociétés privées, c’est sans précédent." Le journaliste considère que c'est cette concurrence qui a "permis la démocratie" avec un doublement des lignes et une réduction de 25% des prix. Certes, convient-il, l’emploi a diminué de 18% mais, ajoute-t-il, "ces pertes d’emploi sont liées aux progrès techniques et on les retrouve dans toute l’industrie". Lenglet finit par rappeler que Montebourg tenait un tout autre discours quand il était dans l’opposition avec, pour preuve, ce tweet datant de janvier 2012 qu’il cite à l’antenne :
Reste que les médias, globalement, demeurent sceptiques sur l’offre 4G à prix cassé de Free. En cause notamment : le peu de couverture du réseau. Comme le fait remarquer le JT de France 2, Free a activé 700 antennes quand SFR en a déployé 1013, Orange 3 879 et Bouygues 5393. Et alors ? rigole sur twitter Stéphane Soumier, animateur de la tranche matinale sur BFM business : "en octobre, SFR avait... 620 antennes 4G. Donc, en fait Free a un mois de retard". Soumier s’amuse tout autant dans un billet paru sur son blog : "je remercie ma consœur des Echos, Sabine Delanglade, d’avoir remis à la une les déclarations du patron d’AOL quand Iliad a sorti sa première box : « un homme vient de sauter du haut de la falaise, je ne suis pas obligé de le suivre » (regardez la video, c'est saisissant) 10 ans après, c’est bien AOL qui s’est écrasé. Je me dis que ça devrait vacciner tout le monde, et pourtant non, à chaque fois les mêmes sourires entendus, à chaque fois les experts narquois, à chaque fois les cris sur la «destruction de valeur»". Le jour-même, l’animateur avait reçu le directeur général de Free, Maxime Lombardini, lequel prétend qu’il est de "leur mission d'aller remettre les prix de la 4G à leur juste prix." Message messianique reçu cinq sur cinq.
Et les consommateurs là-dedans ? Ils sont paumés, nous dit le JT de France 2. Et c’est vrai qu’on se retrouve coincés entre les sceptiques d’un côté, les messianiques de l’autre. A moins de tomber sur cet article du Figaro qui pose à plat l’offre 4G de Free. Selon le journaliste, l’offre est la moins chère, l’abonnement est généreux, la couverture pas terrible, mais, problème pour Free, la 4G nécessite un téléphone compatible : "à son lancement, Free a pu compter sur le parc de smartphones achetés chez les autres opérateurs qu'il était possible de débloquer, le plus souvent sans surcoût. Les abonnés qui ont souscrit à un forfait 4G chez les concurrents sont cette fois au tout début de leur engagement. Free a seulement 10.000 smartphones compatibles 4G en circulation sur son réseau, sur sept millions de SIM. Pour les abonnés, le téléphone 4G le moins cher vendu par Free est à 227 euros". Le consommateur n’est plus paumé, il est fixé : s’il veut bénéficier de la 4G, il devra se racheter un nouveau téléphone.
Quant à la concurrence, le journaliste rappelle qu’elle va vite répliquer : "pour voir des tarifs plus agressifs, il faudra attendre l'offre 4G à 19,99 euros par mois de Virgin Mobile promise pour le printemps prochain. Ou attendre l'arrivée d'une réplique chez B&You", la marque low cost de Bouygues Telecom. Ce qui vient tout juste d’être fait comme le signalent ce matin nos confrères de PCINpact. Les ministres feront-ils aussi les gros yeux face à Bouygues ?