Phil a écrit:Revu
PRISONERS la semaine dernière, que j’ai trouvé encore meilleur à la seconde vision. Une fois qu’on sait que la dernière demi-heure explicative est moins forte au niveau de la tension, j’ai mieux apprécié la structure du film et me suis encore fait prendre à son piège implacable.
Et hier, on a regardé ça :
ENEMY, donc, dernier film en date réalisé par
Denis Villeneuve, qui n’a pas encore de date de sortie en France mais est déjà disponible au Canada en vost (et là, le Canada n’est pas une ruse anti-hadopienne nase, vu que c’est bien là bas que le film est disponible !
)
En effet, après son coup d’éclat américain,
Villeneuve retourne dans son pays pour adapter à Toronto dans une coprpduction avec l’Espagne un roman portugais semi-fantastique ; et embarque dans sa besace un
Jake Gyllenhaal bien parti pour devenir son nouvel acteur fétiche.
Le résultat est exactement à l’image de la bande-annonce déroutante qu’on peut voir ci-dessus (pour une fois, on ne nous ment pas sur la marchandise), un film étrange et sombre, une sorte d’oeuvre malade à la folie très contrôlée. A vrai dire, je ne vais pas m’appesantir dessus, déjà parce que je ne suis pas certain d’avoir bien compris le truc (à supposer qu’il y ait quelque chose à comprendre). Et ensuite parce que ça fait partie de ces expériences cinématographiques qu’il ne sert à rien d’analyser par les mots mais qu’il vaut mieux voir et ressentir (ou pas).
L’histoire paraît simple au premier abord : un professeur d’université remarque un jour à l’arrière-plan d’un film un acteur qui lui ressemble trait pour trait au point de paraître son clone. Il le contacte par curiosité, et entre les deux va vite s’installer une relation trouble d’attraction/répulsion. Jusqu’à ce que les repères se troublent, que chacun s’éprenne de la femme de l’autre et que leur relation devienne complètement étrange.
Il faut mettre de côté la première scène du film, et son dernier plan – qui chacun plongent inutilement dans un fantastique surréaliste inutilement appuyé et qui non seulement n’apportent rien mais desservent même le film. Entre ces deux pôles, par contre, le film ne décroche jamais de sa mécanique tordue et suis pas à pas la trace du double personnage de
Gyllenhaal, de tous les plans ou presque, qui s’enfonce progressivement dans un cauchemar éveillé.
Comme dans ses précédents films,
Villeneuve impose une mise en scène impressionnante, outrancièrement visible. C’est sa réalisation et ses plans composés avec une précision incroyable, secondé par une musique atonale et arythmique, qui créent cette ambiance oppressante.
Villeneuve filme sans cesse des plans qui pourraient paraître anodins, où les gens font des choses normales, en les traitant comme si c’étaient des scènes de suspense ou d’horreur.
Le film fait indéniablement penser à celui qui doit être un des mentors du réalisateur, canadien lui-aussi – évidemment
David Cronenberg (en plus de lui avoir pris l’actrice
Sarah Gadon qui jouait dans ses deux derniers (mauvais) films, et dans celui (mauvais aussi) de son fils). Comme lui, Villeneuve pratique le décalage, duquel naît l’étrangeté, et crée une sorte de monde illusoire dans lequel tout est possible. L’angoisse naît alors de ce quotidien perverti, qu’on devrait reconnaître au premier abord mais qui nous semble étrange et sans lien avec la réalité. Sans compter que le thème du double, de la façon dont il est traité ici, rappelle souvent le grand
Faux Semblants.
La manière dont la ville est filmée, aussi, comme une cité vide et épurée, étouffante et inhumaine, participe à l’atmosphère du film.
Un film superbement mis en scène, donc, avec un acteur principal excellent, de bons seconds rôles (à noter la présence de
Mélanie Laurent, qui n’a pas grand-chose à jouer et le fait du coup très bien – en plus de nous offrir 2-3 scènes cochonnes qui font plaisir à voir), une ambiance déglingos, du revival de
Cronenberg à son meilleur… et pourtant, je ne sais pas trop quoi en penser au final. Entre fascination et moments chiants, entre scènes impressionnantes et poses arty-intello gavantes, entre vrais trucs de malades qui laissent sur le cul et idées à la con ; le film est clairement celui que j’ai le moins apprécié du réalisateur jusqu’ici. Mais d’un autre côté, je me demande si c’est pas complètement conscient de sa part (genre pour pas se faire bouffer par le système après l’accueil réservé à Prisoners…). A voir de toute façon, parce qu’on n’a pas tous les jours l’occasion de se taper des films aussi barrés et aussi beaux à la fois (et puis ça dure seulement 1h30 tout pile).
Note = 4/6