Au sein d’un cinéma américain de divertissement consensuel et qui ressemble toujours plus à une photocopieuse industrielle qui a éliminé toute originalité et tout discours un tant soit peu subversif,
LOGAN apparaît comme un film étonnant, et une belle petite claque.
Film de super-héros qui ne ressemble à aucun autre, blockbuster pas ordinaire, comme on n’en voit que trop rarement… ce genre de film rare, qu’ils soient réussis ou non, sont toujours intéressants et rafraîchissants, par leur radicalité. Dans les exemples récents, je ne vois guère que
Mad Max Fury Road et
Jupiter Ascending en tant que proposition de cinéma sortant autant des sentiers battus. Un film de mutants qui se foutent sur la gueule crépusculaire et lent, sans collants fluos, filmé à l’ancienne sans effets visuels inutiles par un réalisateur avec une vraie vision, avec un générique au début, une mise en place, une fin sombre, pas de scène post-générique pour vendre une quelconque suite, et qui ne prend pas ses spectateurs pour des jambons !
Ce statut à part tient principalement au fait que, comme on l’a lu un peu partout, le film est très violent. Pour la première fois chez
Marvel en général et chez les
X-Men en particulier, les coups de griffes de
Serval (comme on disait quand j'étais gosse) - et des mutants X23 et X24 - font vraiment mal, déchiquettent les corps, font gicler le sang, décapitent les ennemis… Le tout à grand renfort de bastons hyper brutales, de séquences d’une sauvagerie hallucinante dans un tel produit.
James Mangold avait un peu préparé le terrain dans son moyen-bof
Wolverine : Le Combat de l’Immortel, la séquence avec Wolvie dans
X-Men Apocalypse avait servi de teaser – mais, chaque fois, ce n’étaient que des moments isolés dans des films plus formatés.
On a aussi déjà vu ça dans
Deadpool, ou ailleurs dans
Kick Ass… Sauf que, dans ces deux films comme dans ceux qui s’y apparentent, la violence était traitée via un filtre très épais de second degré. Chez
Tim Miller et
Matthew Vaughn, on rigole devant le sang et les armes.
Rien de tout ça chez Mangold, bien au contraire.
S’il n’y avait que ça, ça serait déjà bien. Mais, en plus,
Logan s’avère étonnamment être aussi un beau film d’anticipation, parfois proche des
Mad Max en général, ou même du génialissime
Les Fils de L’Homme d’Alfonso Cuaron !
L’histoire se passe en 2029, un futur relativement proche qui permet d’extrapoler sur notre monde actuel sans avoir à se lancer dans un concours d’imagination débridé et coloré. Dans ce monde, la plupart des mutants ont été décimés par un mystérieux virus, les X-Men ont été tués lors de la destruction du manoir de Westchester par le Professeur Xavier, l’Amérique (et le reste du monde, suppose-t-on) est livrée aux grandes compagnies qui gèrent le grenier du monde à coup d’installations géantes pour ramasser leur maïs transgénique et de camion-robots circulant sur des autoroutes à perte de vue. Logan a perdu ses pouvoirs de mutant et se traîne comme un boulet un Xavier grabataire sujet à des crises où ses pouvoirs se déchaînent dans une furie destructrice. Tout va basculer lorsque surgit une petite fille mutante issue d’expériences en laboratoire, celles-là même qui ont fait de Wolverine ce qu’il est.
On le voit, le film se passe dans un univers qui n’a pas grand-chose à voir avec ce qu’on a vu précédemment dans la franchise – même malmené par une chronologie chaotique à l’issue de la seconde trilogie
X-Men. Peut-être un de ces univers parallèles générés par la fin de
Days of Future Past, en rupture de la continuité temporelle.
Pendant 2h15 (peut-être 20-25 minutes de trop, c’est bien le seul défaut du film), on assiste médusé à un spectacle hanté par la mort, le désespoir, la vieillesse, la perte de l’intégrité physique et intellectuelle des personnages. Et là où le scénario fait fort, c’est que tous les éléments du film ne sont pas martelés aux spectateurs, mais qu’on les comprend simplement, au détour d’un dialogue, par l’attitude d’un personnage, un détail de l’image, etc. ça nous change des crétineries habituelles !
D’autant plus que le film combine cette approche assez expérimentale à des aspects bien plus classiques. Dans sa manière de travailler les grands mythes du cinéma américain, les constantes du film de divertissement,
Logan offre une bonne synthèse entre l’ancien et le moderne. Le film fait souvent référence au western classique de
George Stevens Shane, qu’il cite à travers un extrait et la reprise de quelques lignes de dialogues à des moments clés. En cela, il s’inscrit dans la tradition d’un certain cinéma, tout en le dynamitant de l’intérieur. Pour s’achever sur un plan bouleversant, à la fois d’une simplicité folle et d’une grande puissance évocatrice.
Ajoutons à ça l’interprétation parfaite de
Hugh Jackman, qui s’éclate pour la dernière fois dans le rôle du personnage qui l’a révélé (du moins, avant qu’un bon gros chèque ne le dissuade d’abandonner Wolverine là
- Spoiler:
bien que ce soit difficile maintenant qu’il est mort, mais bon…
).
Et la gamine, dont c’est le premier rôle, est juste phénoménale ! Le plan tout bête où elle sourit au milieu du repas dans la famille de blacks, fouyayaya…