Suite à notre discussion sur le Calendrier, et histoire d'ouvrir ici un sujet sur Cronenberg qui devrait resservir, re-publication de ma critique de A HISTORY OF VIOLENCE (rediffusé sur France 3 demain).
David Cronenberg m'avait fait très peur avec son film précédent, « Spider », pensum foireux où toute l'intelligence du réalisateur se perdait dans la symbolique lourdingue d'un film chiant au possible.
Avec « History of Violence », le metteur en scène canadien nous revient par contre dans une très grande forme et fait passer son film précédent pour une erreur de parcours sans grande conséquence. On peut aisément oublier cette erreur tant son nouveau film renoue avec tout ce qu'on aime chez le cinéaste, tout en s'intégrant logiquement et idéalement à son parcours jusqu'ici.
Depuis ses débuts dans le pur film d'horreur de série B gore, Cronenberg a toujours insufflé beaucoup de fond à ses films, tournant autour de thèmes récurrents tels que la maladie et les dérèglements corporels, les mutations vers « l'homme du futur », la perception de la réalité etc… Son cinéma est devenu avec le temps de plus en plus conceptuel, de plus en plus abstrait, tournant le dos à ses débordements pour devenir complètement intériorisé. Mais régulièrement, Cronenberg s'amuse à nous livrer un film plus « commercial » (du moins en apparence). C'est le cas avec ce dernier film, réalisé pour un grand studio américain, adapté d'un « graphic novel » et qui s'apparente à un gros film d'action à base de vengeance sanglante. Et c'est certainement sa plus grande force, Cronenberg s'éclatant comme un fou à pervertir totalement le film de « vigilante » en livrant une réflexion profonde sur le phénomène de la violence en elle-même et sur sa représentation au cinéma.
Cronenberg regarde le peuple américain (ces voisins qu'il ne comprend pas) comme un entomologiste et analyse sa fascination pour la violence, les armes, l'autodéfense. Et son regard est cynique et acéré se teintant d'une ironie devastatrice. Au départ, il décrit une petite famille américaine parfaite, une version 21ème siècle des Ingalls. Une famille qui va basculer très vite dans l'horreur, alors qu'il suffit d'un petit élément déclencheur pour que leur nature violente prenne le dessus. D'une ambiguïté incroyable, le film dénonce la violence inhérente de l'homme et tente de réfléchir sur la question, tout en offrant son lot de scènes hyper agressives. Mais Cronenberg pousse les scènes d'action du film à un tel niveau de grotesque et d'énormité qu'elles en deviennent risibles. Véritables catharsis en même temps que déconstruction d'un genre roi dans le cinéma américain, les scènes de violence du film servent au réalisateur à poser une distance entre le spectateur et la représentation de la violence à l'écran. Ca ne fait pas de lui un moraliste pour autant (il serait mal placé au vu des électrochocs que constituent la plupart de ses films !), car il avoue par ses images sa propre fascination pour le sujet (un peu comme John Woo lorsqu'il dit qu'il n'aime pas la violence et que c'est ce qu'il veut faire passer par ses gunfights aériens).
Derrière ses oripeaux de pure série B jouissive, « History of violence » est un film évidemment très réfléchi de la part d'un Cronenberg qui ne laisse jamais rien au hasard. C'est aussi un film qui permet au cinéaste de développer ses thèmes habituels, même sur un scénario qu'il n'a pas signé. Dans le film, la violence est une sorte de virus, une maladie qui touche l'homme et se répand par contamination auprès de ses proches (son fils, sa femme…). C'est une maladie qu'on peut soigner, mais qui peut aussi revenir. Une phrase prononcée par le personnage principal est à double sens : « Je ne vais pas faire une analyse d'ADN pour leur prouver que je ne suis pas celui qu'ils croient ». Ainsi, ce qui doit prouver son identité peut aussi être pris pour une analyse mettant à jour la gêne de la violence et son impact sur le personnage principal.
D'autres thèmes purement Cronenbergiens comme le questionnement sur l'identité (qui est-on réellement ? Se définit-on par ce qu'on est intrinsèquement ou par nos actes ?) et le rapport à la réalité sont très présents, comme dans tous les films « importants » du maître.
Et évidemment, le sexe est lui aussi mis au premier plan. Comme toujours, le réalisateur n'a pas peur d'affronter le sujet frontalement, à travers deux scènes fabuleuses. Dans la première au début du film, le couple de personnages principaux fait l'amour un soir où ils sont seuls. Cronenberg filme la scène « comme à la maison », on a vraiment l'impression de voir un couple « normal » faire l'amour, le réalisateur osant un « 69 » rarement vu au cinéma. Plus loin dans le film, alors que le caractère violent des mêmes personnages a explosé au grand jour, c'est à une scène de sexe sauvage tétanisante qu'on assiste, à l'opposé de la première. La réflexion sur le sexe et sa représentation rejoint dans la démarche du réalisateur celle sur la violence.
Au-delà de toute la réflexion et des débats que le film amène, c'est aussi un film qui fonctionne au premier degré et procure un plaisir direct et efficace. Bien qu'un peu lent, on ne s'y ennuie jamais (il dure à peine 1h30, en plus), et contrairement à beaucoup de films de Cronenberg, il ne met pas mal à l'aise. Même sur un film plus commercial, le réalisateur tend toujours vers l'abstraction et pousse ici très loin le dénuement total dans ses effets (avec l'aide de la musique élégiaque mais discrète du complice de toujours Howard Shore, par exemple). Le film est assez froid, mais ce n'est pas oppressant comme « Faux Semblants » ou « Crash ».
En plus, les acteurs sont tous incroyables. Viggo Mortensen prouve qu'il n'est pas cantonné au rôle d'Aragorn-fils-d'Arathorn pour toujours, et son aspect un peu lisse colle très bien au rôle. Maria Bello est époustouflante, surtout lorsqu'elle laisse passer les failles et les interrogations de son personnage. Dans les rôles des « méchants » assez caricaturaux, Ed Harris et William Hurt s'en donne à cœur joie.
Le film nous laisse complètement sur le carreau, d'autant que la fin, elle aussi d'une ambiguité folle, est fabuleuse. Dans ces dernières minutes sur le fil du rasoir (et sans rien vouloir dévoiler), le film cesse d'être un objet clinique et on se trouve submergé par l'émotion. Cronenberg clôt son film logiquement, et en même temps laisse planer un doute par le brusqe fondu au noir sur.... mais n'en disons pas plus !
« History of violence » n'est peut-être pas ZE film de l'année que j'attendais… quoique ! Le temps nous dira ce qu'il en restera dans quelques mois, et ses futures visions en DVD apporteront sûrement d'autres plaisirs, d'autres lectures, d'autres interrogations.
En tout cas, comme presque à chaque fois, Cronenberg nous a livré un film « provoquant » dans le vrai sens du terme. Parce qu'il provoque chez le spectateur tout un tas de sentiments, parce qu'il provoque la réflexion, parce qu'il est dérangeant. Je ne vais donc pas m'étendre encore plus dessus, mais simplement revenir sur le fait que le maître canadien est de retour avec un putain de grand film, et que ça fait vraiment du bien !
David Cronenberg m'avait fait très peur avec son film précédent, « Spider », pensum foireux où toute l'intelligence du réalisateur se perdait dans la symbolique lourdingue d'un film chiant au possible.
Avec « History of Violence », le metteur en scène canadien nous revient par contre dans une très grande forme et fait passer son film précédent pour une erreur de parcours sans grande conséquence. On peut aisément oublier cette erreur tant son nouveau film renoue avec tout ce qu'on aime chez le cinéaste, tout en s'intégrant logiquement et idéalement à son parcours jusqu'ici.
Depuis ses débuts dans le pur film d'horreur de série B gore, Cronenberg a toujours insufflé beaucoup de fond à ses films, tournant autour de thèmes récurrents tels que la maladie et les dérèglements corporels, les mutations vers « l'homme du futur », la perception de la réalité etc… Son cinéma est devenu avec le temps de plus en plus conceptuel, de plus en plus abstrait, tournant le dos à ses débordements pour devenir complètement intériorisé. Mais régulièrement, Cronenberg s'amuse à nous livrer un film plus « commercial » (du moins en apparence). C'est le cas avec ce dernier film, réalisé pour un grand studio américain, adapté d'un « graphic novel » et qui s'apparente à un gros film d'action à base de vengeance sanglante. Et c'est certainement sa plus grande force, Cronenberg s'éclatant comme un fou à pervertir totalement le film de « vigilante » en livrant une réflexion profonde sur le phénomène de la violence en elle-même et sur sa représentation au cinéma.
Cronenberg regarde le peuple américain (ces voisins qu'il ne comprend pas) comme un entomologiste et analyse sa fascination pour la violence, les armes, l'autodéfense. Et son regard est cynique et acéré se teintant d'une ironie devastatrice. Au départ, il décrit une petite famille américaine parfaite, une version 21ème siècle des Ingalls. Une famille qui va basculer très vite dans l'horreur, alors qu'il suffit d'un petit élément déclencheur pour que leur nature violente prenne le dessus. D'une ambiguïté incroyable, le film dénonce la violence inhérente de l'homme et tente de réfléchir sur la question, tout en offrant son lot de scènes hyper agressives. Mais Cronenberg pousse les scènes d'action du film à un tel niveau de grotesque et d'énormité qu'elles en deviennent risibles. Véritables catharsis en même temps que déconstruction d'un genre roi dans le cinéma américain, les scènes de violence du film servent au réalisateur à poser une distance entre le spectateur et la représentation de la violence à l'écran. Ca ne fait pas de lui un moraliste pour autant (il serait mal placé au vu des électrochocs que constituent la plupart de ses films !), car il avoue par ses images sa propre fascination pour le sujet (un peu comme John Woo lorsqu'il dit qu'il n'aime pas la violence et que c'est ce qu'il veut faire passer par ses gunfights aériens).
Derrière ses oripeaux de pure série B jouissive, « History of violence » est un film évidemment très réfléchi de la part d'un Cronenberg qui ne laisse jamais rien au hasard. C'est aussi un film qui permet au cinéaste de développer ses thèmes habituels, même sur un scénario qu'il n'a pas signé. Dans le film, la violence est une sorte de virus, une maladie qui touche l'homme et se répand par contamination auprès de ses proches (son fils, sa femme…). C'est une maladie qu'on peut soigner, mais qui peut aussi revenir. Une phrase prononcée par le personnage principal est à double sens : « Je ne vais pas faire une analyse d'ADN pour leur prouver que je ne suis pas celui qu'ils croient ». Ainsi, ce qui doit prouver son identité peut aussi être pris pour une analyse mettant à jour la gêne de la violence et son impact sur le personnage principal.
D'autres thèmes purement Cronenbergiens comme le questionnement sur l'identité (qui est-on réellement ? Se définit-on par ce qu'on est intrinsèquement ou par nos actes ?) et le rapport à la réalité sont très présents, comme dans tous les films « importants » du maître.
Et évidemment, le sexe est lui aussi mis au premier plan. Comme toujours, le réalisateur n'a pas peur d'affronter le sujet frontalement, à travers deux scènes fabuleuses. Dans la première au début du film, le couple de personnages principaux fait l'amour un soir où ils sont seuls. Cronenberg filme la scène « comme à la maison », on a vraiment l'impression de voir un couple « normal » faire l'amour, le réalisateur osant un « 69 » rarement vu au cinéma. Plus loin dans le film, alors que le caractère violent des mêmes personnages a explosé au grand jour, c'est à une scène de sexe sauvage tétanisante qu'on assiste, à l'opposé de la première. La réflexion sur le sexe et sa représentation rejoint dans la démarche du réalisateur celle sur la violence.
Au-delà de toute la réflexion et des débats que le film amène, c'est aussi un film qui fonctionne au premier degré et procure un plaisir direct et efficace. Bien qu'un peu lent, on ne s'y ennuie jamais (il dure à peine 1h30, en plus), et contrairement à beaucoup de films de Cronenberg, il ne met pas mal à l'aise. Même sur un film plus commercial, le réalisateur tend toujours vers l'abstraction et pousse ici très loin le dénuement total dans ses effets (avec l'aide de la musique élégiaque mais discrète du complice de toujours Howard Shore, par exemple). Le film est assez froid, mais ce n'est pas oppressant comme « Faux Semblants » ou « Crash ».
En plus, les acteurs sont tous incroyables. Viggo Mortensen prouve qu'il n'est pas cantonné au rôle d'Aragorn-fils-d'Arathorn pour toujours, et son aspect un peu lisse colle très bien au rôle. Maria Bello est époustouflante, surtout lorsqu'elle laisse passer les failles et les interrogations de son personnage. Dans les rôles des « méchants » assez caricaturaux, Ed Harris et William Hurt s'en donne à cœur joie.
Le film nous laisse complètement sur le carreau, d'autant que la fin, elle aussi d'une ambiguité folle, est fabuleuse. Dans ces dernières minutes sur le fil du rasoir (et sans rien vouloir dévoiler), le film cesse d'être un objet clinique et on se trouve submergé par l'émotion. Cronenberg clôt son film logiquement, et en même temps laisse planer un doute par le brusqe fondu au noir sur.... mais n'en disons pas plus !
« History of violence » n'est peut-être pas ZE film de l'année que j'attendais… quoique ! Le temps nous dira ce qu'il en restera dans quelques mois, et ses futures visions en DVD apporteront sûrement d'autres plaisirs, d'autres lectures, d'autres interrogations.
En tout cas, comme presque à chaque fois, Cronenberg nous a livré un film « provoquant » dans le vrai sens du terme. Parce qu'il provoque chez le spectateur tout un tas de sentiments, parce qu'il provoque la réflexion, parce qu'il est dérangeant. Je ne vais donc pas m'étendre encore plus dessus, mais simplement revenir sur le fait que le maître canadien est de retour avec un putain de grand film, et que ça fait vraiment du bien !