Ma critique - avant postage sur le blog et lien sur Touitère, donc ça reprend des trucs dont on a déjà parlé et des sujets qu'on connaît par ici... (+ une note, qui n'y sera pas) :
Avec Juste la Fin du Monde, Xavier Dolan franchit une nouvelle étape dans sa jeune mais déjà longue carrière. En enfermant cinq stars françaises dans une maison à la campagne pour les voir se pourrir la gueule pendant tout un dimanche, en adaptant une pièce de Jean-Luc Lagarce, dramaturge mort du Sida en 1995… Il change ici à la fois d’économie, de catégorie (entrant au sein du « prestigieux cinéma français »), d’échelle ; voire de public – si les fans qui le suivent ardemment depuis J’ai Tué ma Mère en 2009 se déplaceront encore pour ce nouvel opus, il pourrait y gagner aussi un nouvel afflux de gens qui n’allaient pas forcément voir ses films canadiens plus personnels.
On ne saura probablement jamais ce qui ressort du calcul, de la démarche volontaire, ou des hasards et circonstances… Il s’avère que ce film est, en effet, assez différent des précédents réalisé par le jeune prodige québécois. C’est ce qui frappe le plus pendant le visionnage, pour le fan hardcore que je suis, vouant un culte à ce qui reste son film le plus ambitieux et le plus complexe (Laurence Anyways) et redoutant la « récupération par le système » suite au succès du génial Mommy.
L’impression principale qui ressort, c’est que le réalisateur - que l’on sait très sensible à l’accueil qui est fait à ses films, aux critiques, aux reproches etc – semble s’être mis en tête de gommer certains des tics que ses détracteurs lui reprochaient le plus. Juste la Fin du Monde est ainsi moins exubérant, moins à fleur de peau, moins « hypertrophié », peut-être moins personnel, que les films précédents. Ce qui est ballot, en ce qui me concerne, c’est que ce qui a été un peu mis de côté ici, c’est justement ce que je préfère chez Dolan ! Cette folie, cette fougue adolescente, ce côté « petit génie » qui se permet tout et tente tout, au risque de se casser la gueule, mais ce n’est pas grave !
Il en ressort une certaine froideur, moins d’empathie avec les personnages, moins d’émotion, même. Ceux qui connaissent peu le travail du réalisateur canadien, ou s’y intéressent de loin, trouveront peut-être que j’exagère. Vu que le film est quand même un concentré de névroses, d’engueulades hystériques, de coups d’éclats… Toujours est-il qu’on peut rester cette fois-ci un peu plus à l’extérieur de l’histoire ; moins impliqué et moins attiré dans l’univers du film que par le passé.
Est-ce à dire que Dolan a mis trop d’eau dans son vin et nous livre ici une version light de son cinéma ?
Que nenni !
Déjà, parce que, même « assagi », le jeune chien fou du cinéma reste ce qu’il est. S’il travaille ici plus dans l’épure de son style, le réalisateur/scénariste/costumier/superviseur musical/coiffeur/cantinier/et-j’en-passe continue de creuser son sillon. Il travaille encore une fois au corps les mêmes thèmes et les mêmes constantes. Il livre à nouveau un grand film sur l’incommunicabilité, en l’illustrant par des personnages qui parlent et hurlent sans cesse pour finalement montrer qu’ils n’ont rien à se dire. Où qu’il est trop tard pour se dire les choses. Ce n’est pas pour rien que les deux personnages les plus significatifs sont celui qui parle le moins et celle qui ne sait pas parler sans bafouiller et s’y reprendre à trois fois pour faire une phrase correcte. Fidèle à son système, Dolan aligne les séquences en modifiant les interactions entre ses personnages, passant d’une discussion à une autre, dans une histoire qui semble faire du surplace tout en avançant en ligne droite vers un final explosif.
Mais, surtout, ce sixième film en six ans continue de transpirer l’amour du cinéma avec un grand C. S’il met la pédale douce sur les ralentis et autres affèteries visuelles (que certains, là encore, ont pu lui reprocher), Dolan n’en continue pas moins de manier l’image, la caméra, le montage, avec une maestria impressionnante. Tout au début du film, lorsque Louis arrive dans la maison familiale, sa sœur se précipite sur lui pour l’enlacer. Il y a alors un montage cut de 3 plans très courts sous différents angles, comme si cette simple action était digne d’un film d’action hollywoodien. Là, déjà, je me suis dit « ouch, on va en prendre plein la face ! ». Et ça n’a pas loupé. Le plus fort, c’est probablement que la puissance de la réalisation n’est pas ostensiblement affichée. Le film est construit sur un ensemble de gros plans, une caméra qui suit sans cesse les personnages ; une version un peu plus large du processus de cadrages serrés de Mommy. Mais sous cette apparence de simplicité, qu’on pourrait attribuer à une envie de faire du « théâtre filmé » pour apporter la pièce originale sur grand écran, se cache une mise en scène complexe et très précise. Justement le contraire : faire du cinéma à partir du théâtre, travailler la matière dans un véritable effort d’adaptation d’un medium à l’autre – trop souvent négligé ces temps-ci (par des réalisateurs feignants qui pensent qu’il suffit de traduire les mots en image pour adapter).
De là, évidemment, on retrouve tout ce qui fait la patte de Xavier Dolan. Dont son amour pour la musique, indissociable des images. Il parvient même à reproduire le petit miracle de son film précédent, dans lequel il parvenait à émouvoir avec une chanson de Céline Dion. Là, il balance une scène très forte sur du O-Zone ; et rien que ça pourrait prouver à quel point il est bon !
Et quels acteurs et actrices, bon sang !
De Gaspard Ulliel et Vincent Cassel, on ne s’attendait pas à ce qu’ils soient mauvais, et ils se révèlent à la hauteur des attentes. Mais ce sont surtout Nathalie Baye et Marion Cotillard qui m’ont laissé à genoux. De la part de Baye, pas de surprise non plus – et on avait déjà pu voir dans Laurence Anyways que Dolan était capable de tirer d’elle le meilleur de son jeu. Là encore, elle est exceptionnelle, s’accaparant même ce qui est à mon avis la meilleure scène du film (la discussion dans la remise avec son fils). Cotillard, par contre, c’est plus étonnant pour moi. C’est peu de dire que je ne l’apprécie guère, ni elle, ni son jeu (ce qui est la seule chose qui compte, après tout), même si je peux trouver 2-3 films où elle est bien (Inception) voire très bien (De Rouille et d’Os). Mais alors là… elle m’a complètement scié ! Avec un jeu tout en nuances, qui parvient à créer un malaise constant en même temps qu’elle est la seule à réussir à provoquer quelques pointes d’émotion au dessus du reste. Avec l’éclat de rage de Cassel à la fin…
Seule Léa Seydoux est un peu moins bien (elle très bien quand même !), mais je pense que c’est surtout dû à son rôle, moins intéressant et plus bateau.
En résumé, Juste la Fin du Monde est certes un film qui n’a pas tenu toutes ses promesses en ce qui me concerne… mais qui est loin d’être une déception pour autant. Il faut surtout relativiser, vu que les promesses étaient très élevées. J’avais par exemple été un peu déçu par Mommy la première fois; avant de me rendre compte que j’avais envers le film des problèmes de riche. Pareil avec Juste la Fin du Monde : a la première vision (parce qu’il y en aura forcément d’autres), ce n’est pas un des meilleurs Dolan. Mais ramené au film en lui-même, sans la pression des précédents, c’est un film de Dolan.
Et ça me suffit amplement !
Note = 5/6
Avec Juste la Fin du Monde, Xavier Dolan franchit une nouvelle étape dans sa jeune mais déjà longue carrière. En enfermant cinq stars françaises dans une maison à la campagne pour les voir se pourrir la gueule pendant tout un dimanche, en adaptant une pièce de Jean-Luc Lagarce, dramaturge mort du Sida en 1995… Il change ici à la fois d’économie, de catégorie (entrant au sein du « prestigieux cinéma français »), d’échelle ; voire de public – si les fans qui le suivent ardemment depuis J’ai Tué ma Mère en 2009 se déplaceront encore pour ce nouvel opus, il pourrait y gagner aussi un nouvel afflux de gens qui n’allaient pas forcément voir ses films canadiens plus personnels.
On ne saura probablement jamais ce qui ressort du calcul, de la démarche volontaire, ou des hasards et circonstances… Il s’avère que ce film est, en effet, assez différent des précédents réalisé par le jeune prodige québécois. C’est ce qui frappe le plus pendant le visionnage, pour le fan hardcore que je suis, vouant un culte à ce qui reste son film le plus ambitieux et le plus complexe (Laurence Anyways) et redoutant la « récupération par le système » suite au succès du génial Mommy.
L’impression principale qui ressort, c’est que le réalisateur - que l’on sait très sensible à l’accueil qui est fait à ses films, aux critiques, aux reproches etc – semble s’être mis en tête de gommer certains des tics que ses détracteurs lui reprochaient le plus. Juste la Fin du Monde est ainsi moins exubérant, moins à fleur de peau, moins « hypertrophié », peut-être moins personnel, que les films précédents. Ce qui est ballot, en ce qui me concerne, c’est que ce qui a été un peu mis de côté ici, c’est justement ce que je préfère chez Dolan ! Cette folie, cette fougue adolescente, ce côté « petit génie » qui se permet tout et tente tout, au risque de se casser la gueule, mais ce n’est pas grave !
Il en ressort une certaine froideur, moins d’empathie avec les personnages, moins d’émotion, même. Ceux qui connaissent peu le travail du réalisateur canadien, ou s’y intéressent de loin, trouveront peut-être que j’exagère. Vu que le film est quand même un concentré de névroses, d’engueulades hystériques, de coups d’éclats… Toujours est-il qu’on peut rester cette fois-ci un peu plus à l’extérieur de l’histoire ; moins impliqué et moins attiré dans l’univers du film que par le passé.
Est-ce à dire que Dolan a mis trop d’eau dans son vin et nous livre ici une version light de son cinéma ?
Que nenni !
Déjà, parce que, même « assagi », le jeune chien fou du cinéma reste ce qu’il est. S’il travaille ici plus dans l’épure de son style, le réalisateur/scénariste/costumier/superviseur musical/coiffeur/cantinier/et-j’en-passe continue de creuser son sillon. Il travaille encore une fois au corps les mêmes thèmes et les mêmes constantes. Il livre à nouveau un grand film sur l’incommunicabilité, en l’illustrant par des personnages qui parlent et hurlent sans cesse pour finalement montrer qu’ils n’ont rien à se dire. Où qu’il est trop tard pour se dire les choses. Ce n’est pas pour rien que les deux personnages les plus significatifs sont celui qui parle le moins et celle qui ne sait pas parler sans bafouiller et s’y reprendre à trois fois pour faire une phrase correcte. Fidèle à son système, Dolan aligne les séquences en modifiant les interactions entre ses personnages, passant d’une discussion à une autre, dans une histoire qui semble faire du surplace tout en avançant en ligne droite vers un final explosif.
Mais, surtout, ce sixième film en six ans continue de transpirer l’amour du cinéma avec un grand C. S’il met la pédale douce sur les ralentis et autres affèteries visuelles (que certains, là encore, ont pu lui reprocher), Dolan n’en continue pas moins de manier l’image, la caméra, le montage, avec une maestria impressionnante. Tout au début du film, lorsque Louis arrive dans la maison familiale, sa sœur se précipite sur lui pour l’enlacer. Il y a alors un montage cut de 3 plans très courts sous différents angles, comme si cette simple action était digne d’un film d’action hollywoodien. Là, déjà, je me suis dit « ouch, on va en prendre plein la face ! ». Et ça n’a pas loupé. Le plus fort, c’est probablement que la puissance de la réalisation n’est pas ostensiblement affichée. Le film est construit sur un ensemble de gros plans, une caméra qui suit sans cesse les personnages ; une version un peu plus large du processus de cadrages serrés de Mommy. Mais sous cette apparence de simplicité, qu’on pourrait attribuer à une envie de faire du « théâtre filmé » pour apporter la pièce originale sur grand écran, se cache une mise en scène complexe et très précise. Justement le contraire : faire du cinéma à partir du théâtre, travailler la matière dans un véritable effort d’adaptation d’un medium à l’autre – trop souvent négligé ces temps-ci (par des réalisateurs feignants qui pensent qu’il suffit de traduire les mots en image pour adapter).
De là, évidemment, on retrouve tout ce qui fait la patte de Xavier Dolan. Dont son amour pour la musique, indissociable des images. Il parvient même à reproduire le petit miracle de son film précédent, dans lequel il parvenait à émouvoir avec une chanson de Céline Dion. Là, il balance une scène très forte sur du O-Zone ; et rien que ça pourrait prouver à quel point il est bon !
Et quels acteurs et actrices, bon sang !
De Gaspard Ulliel et Vincent Cassel, on ne s’attendait pas à ce qu’ils soient mauvais, et ils se révèlent à la hauteur des attentes. Mais ce sont surtout Nathalie Baye et Marion Cotillard qui m’ont laissé à genoux. De la part de Baye, pas de surprise non plus – et on avait déjà pu voir dans Laurence Anyways que Dolan était capable de tirer d’elle le meilleur de son jeu. Là encore, elle est exceptionnelle, s’accaparant même ce qui est à mon avis la meilleure scène du film (la discussion dans la remise avec son fils). Cotillard, par contre, c’est plus étonnant pour moi. C’est peu de dire que je ne l’apprécie guère, ni elle, ni son jeu (ce qui est la seule chose qui compte, après tout), même si je peux trouver 2-3 films où elle est bien (Inception) voire très bien (De Rouille et d’Os). Mais alors là… elle m’a complètement scié ! Avec un jeu tout en nuances, qui parvient à créer un malaise constant en même temps qu’elle est la seule à réussir à provoquer quelques pointes d’émotion au dessus du reste. Avec l’éclat de rage de Cassel à la fin…
Seule Léa Seydoux est un peu moins bien (elle très bien quand même !), mais je pense que c’est surtout dû à son rôle, moins intéressant et plus bateau.
En résumé, Juste la Fin du Monde est certes un film qui n’a pas tenu toutes ses promesses en ce qui me concerne… mais qui est loin d’être une déception pour autant. Il faut surtout relativiser, vu que les promesses étaient très élevées. J’avais par exemple été un peu déçu par Mommy la première fois; avant de me rendre compte que j’avais envers le film des problèmes de riche. Pareil avec Juste la Fin du Monde : a la première vision (parce qu’il y en aura forcément d’autres), ce n’est pas un des meilleurs Dolan. Mais ramené au film en lui-même, sans la pression des précédents, c’est un film de Dolan.
Et ça me suffit amplement !
Note = 5/6