Le texte de Gaspard Proust
Ca va ?
Ben, moi, ça allait. L’année avait vraiment très bien commencé.
J’étais content. Tellement content que, pour tout te dire, ça ne me dérangeait même pas de revenir au boulot alors que je doutais franchement que durant les fêtes il serai arrivé un accident de chasse fatal au grille-pain qui ici se prend pour un robot.
Non, vraiment, j’étais content. Et inspiré. Très inspiré. Tellement inspiré que j’avais déjà fini ma chronique le mardi.
Entre nous je pense que c’était la meilleure chronique que j’ai jamais écrite. Je la trouvais même tellement drôle que c’est la première fois de ma vie où je me suis demandé si je devais peut être essayer d’en faire mon métier...
Dans cette chronique, il y avait plusieurs sketchs.
J’avais d’abord un sketch, très contemporain, très actuel qui mêlait subtilement développement personnel, argent, pudeur et puberté intitulé ; « se reconstruire soi en détruisant son ex » par Valérie Trierweiler.
Un truc vraiment très drôle où une femme se reconstruit, elle et son compte en banque en démolissant son ancien amoureux, d’abord via un bouquin puis voyant que ça marche elle décide d’en faire une adaptation cinéma, une comédie musicale, un ballet, des portes-clés, des boules de Geisha, des chausse-pieds, etc. Enfin, je ne vais pas tout vous dévoiler mais tout ce que je peux vous dire c’est qu’à la fin du sketch elle avait cette phrase pleine d’humour « L’important c’est de rester digne »
J’avais un autre sketch, beaucoup plus subversif et très politiquement incorrect sur le terrorisme chrétien. C’était un sketch où un catho devient super dangereux parce qu’il fait un lecture littérale du Nouveau Testament et du coup il a tout le temps envie d’aimer les uns mais aussi les autres donc, il passe son temps à embrasser les gens dans la rue, et comme les gens collants personne n’aime ça donne lieu à plein de situation cocasses.
Et enfin, j’ai écrit une saynète sur le courage en politique, donc forcément une imitation de Jacques Chirac, ce président qui lors de caricatures de Mahomet a eu cette phrase merveilleuse pour défendre la liberté d’expression : « Il ne faut pas mettre de l’huile sur le feu ».
Bref,
Mardi, j’avais tout ça en stock, et comme l’enregistrement c’est le jeudi, ben mercredi, j’étais libre. Alors, je suis parti me promener. Dans le 11ème. C’est un quartier que j’aime bien, moi, le 11ème. C’est moins efféminé que le 4 mais beaucoup plus propre que le 19.
C’est beau le 11ème vers 11H30 du matin, un mercredi. Les gamins sont en classe donc les cours de récrés sont vides, il n’y a pas de bruit. Les livreurs ont déjà livrés, il y a pas trop de voitures. Les serveuses commencent à peine leurs journées, elles n’ont pas encore mal aux jambes, donc le café arrive plus vite.
C’est vraiment chouette le 11ème un mercredi à 11H 30 du matin.
Je longeais le Boulevard Richard-Lenoir. Joli boulevard. Bordés d’arbres et d’immeubles. Immeubles dans lesquels, il y a plein de gens. Qui travaillent, qui mangent, qui dorment, qui rient, qui pleurent, qui baisent, qui s’engueulent. Mais parfois, on y trouve aussi des gens qui meurent.
De mort naturelle ou comme ce matin là, de mort assistée. Très assistée. En passant près d’un immeuble, j’ai entendu des bruits de fusil mitrailleurs. Je m’approche, je tombe sur un policier.
Je lui dit : mais Qu’est ce qui se passe ?
Ah, ben, Deux hommes cagoulées armés de kalachnikovs et d’un lance-roquettes, viennent de faire un carnage chez Charlie.
Ah bon ? Mais, pour que deux personnes attaquent la rédaction d’un journal armées de la sorte c’est que cette rédaction doit vraiment avoir quelque chose de très grave à se reprocher.
je veux dire…pour en arriver là, leur histoire de journal, c’est sans doute une couverture pour faire tourner un trafic de drogue ou la traite des blanches.
Le flic, il me dit, non, en fait, le seul truc que les gens faisaient dans cet endroit à longueur de journée, c’était écrire et de dessiner.
Ah…Mais c’est très grave, ça, de dessiner et d’écrire ce qui vous passe par la tête.
Le flic répond ; ah, oui, nous sommes bien d’accord, dans une démocratie, c’est tout à fait scandaleux.
Et le pire, il ajoute, c’est que ces gens là faisaient leur boulot avec tellement d’intelligence et de sensibilité que très souvent ils arrivaient à faire rire des gens qu’ils ne connaissaient même pas.
Et en plus ajoute, là le policier, ils ont eu le culot de faire des dessins satiriques sur la religion.
Moi ; Non ? Et Dieu il a réagit comment ?
Lui, Ben Dieu, il n’a rien dit. Ça n’avait pas l’air de le déranger plus que ça et comme on dit « qui ne dit mot consent.. »
C’est quand même difficile d’imaginer que Dieu dont on passe notre temps à nous dire qu’il est grand, aurait besoin de deux débiles pour exister.
On était d’accord. Je sentais qu’il voulait encore me parler mais d’un coup je l’ai trouvé un peu pâle, très pâle. D’un coup, je me suis rendu compte que depuis 3 min je parlais à un mort. Il s’appelait Ahmed, il portait l’uniforme de la police nationale. C’est ironique hein, le 11ème un mercredi à 11h30 du matin.
Alors je suis rentré chez moi, avec une sensation étrange.
La télé était branchée sur les chaînes info. J’ai toujours les chaînes info allumées en continu chez moi avec le son coupé, comme ma montre est pétée, ça me permet d’avoir l’heure en direct.
J’ai vu passer un bandeau qui annonçait que Charb, Cabu, Honoré, Tignous, Wolinski, étaient morts.
Par déformation professionnelle, j’ai d’abord pensé « Bal tragique à Charlie Hebdo, 12 morts, » mais bof, sans plus, comme idée…
Alors, j’ai repris ma chronique écrite le mardi. La meilleure que j’ai jamais pondue. Pour oublier, j’ai voulu rire en me la relisant... Mais, je ne sais pas pourquoi, ça ne marchait plus, je n’avais plus du tout envie de rire. C’est étrange quand même ce que ça peut vous faire, une ballade dans le 11ème un mercredi à 11H30 du matin.