Il est loin le temps où je consacrai au
Voyage de Chihiro un de ces avis-fleuve sur Ciao dont j’avais le secret (et qui m’avait valu une de mes 2 récompenses suprêmes d’un diamant, me semble-t-il), à peine sorti de la salle de cinéma. Principalement parce que je n’en ai plus le temps – alors qu’à l’époque je glandouillais dans le boulot et dans la vie. Mais aussi parce que je n’en ai plus l’envie et, terrible aveu d’impuissance, parce que je me retrouve parfois (trop souvent à mon goût) désarmé face à certains films. Des films qui fonctionnent à l’affect pur, ou qui interrogent le spectateur à des niveaux profonds qu’il est difficile d’analyser après coup ; qui jouent avec des systèmes de références inexplicables par les mots.
Les films de
Miyazaki (comme ceux de
Del Toro ou de
Tarantino en ce qui me concerne, par exemple) sont évidemment de ceux-là. Et son dernier en date, annoncé par lui-même comme son dernier tout court, encore plus que les autres.
Je me rends donc compte aujourd’hui en voulant en faire une critique plus conséquente que je ne m’étendrai pas beaucoup plus loin que ce que j’en disais « à chaud » hier soir en rentrant. Parce que ce dernier joyau de
Miyazaki - un peu moins brillant que d’autres mais néanmoins paré de mille feux – se savoure et se vit lors de sa vision, puis se murît ensuite, sans avoir besoin de longs discours après coup.
Mais quand même…
Le film appartient donc à une veine plus réaliste à laquelle les films précédents du maître ne nous avait pas habitués. Sans en atteindre la noirceur et le tristesse, il se rapproche en cela plus d’un
Tombeau des Lucioles que du premier
Totoro venu. On pense aussi beaucoup à
La Colline aux Coquelicots, réalisé par
le fils Miyazaki, dont on sait que le père n’était pourtant pas très content. C’est en fait une sorte de biopic d’un jeune ingénieur japonais qui a créé l’avion qui deviendra le Zero dont l’armée japonaise usera lors de la seconde guerre mondiale.
Sauf que, bien sûr, un biopic vu par Miyazaki n’a pas grand-chose à voir avec la première daube oscarisable américaine dans le genre. Parce que son réalisme se teinte de nombreuses séquences oniriques sublimes, qui finalement deviennent ce qu’il y a de plus important dans le film, d’un point de vue thématique (toutes les évolutions du personnage et de la grande histoire du Japon se font via ses rêves et non par rapport à ce qui se passe dans la réalité). Parce que le réalisateur s’attache à travers cette histoire à décrire minutieusement la vie de l’époque – notamment à travers le personnage de la femme du héros et leur relation de couple. Une relation abordée avec une incroyable finesse, très touchante, et qui donne lieu notamment à une scène exemplaire dans sa manière d’aborder le sujet de la vie conjugale (celle de la nuit de noces, succédant à un mariage hilarant et magnifique).
En même temps, c’est dans ce côté biopic (pour faire vite) que résident les limites du film. En pratiquant un peu trop d’élipses, Miyazaki donne parfois l’impression de survoler son histoire. Certains éléments ne s’imbriquent pas bien les uns dans les autres, des personnages apparaissent ou disparaissent sans raisons précises… On se doute bien que ce n’est pas l’histoire en elle-même qui intéresse Miyazaki ; plutôt la façon dont elle lui sert de canevas pour exposer ses idées et thèmes. Car il s’agit bien du testament filmique du réalisateur, lui permettant de nous exposer une dernière fois sa passion pour les machines volantes, mais aussi ses idées sur la création en général, ses visions de la nature et des hommes, ses idées politiques et humanistes ; et plus généralement tous les thèmes qu’on peut trouver dans son œuvre, rassemblés ici dans un grand feu d’artifice final.
Il est juste dommage que ce foisonnement thématique et visuel ne soit pas intégré à un récit mieux tenu - sans que pour autant ce soit vraiment préjudiciable, tant il est difficile de faire la fine bouche devant un tel résultat.
Il est juste dommage de ne pas terminer sur le sommet de sa carrière !
(d’autant que, comme je le dis plus haut, la toute fin est une pure merveille qui permet de sortir du film sur une note plus que positive).
(PS, sur les « polémiques » liées au film :
Oui, on peut comprendre l’émoi suscité par Miyazaki s’attaquant à l’histoire d’un ingénieur certes génial et qui a livré l’œuvre de sa vie en créant « l’avion parfait » auquel il rêvait, mais qui a par la même occasion livré au Japon l’avion de Pearl Harbour et des kamikazes. D’autant que le réalisateur est admiratif de ce « héros » qui vit pour ces machines volantes qui le captivent tant. Certains lui ont reproché cette vision « positive » d’un personnage qui a aussi été indirectement pourvoyeur de tant de morts. J’imagine qu’ils auraient au moins voulu que Miyazaki intègre une sorte de « scène de regrets », ou le personnage exprime des remords par rapport à l’usage qui a été fait de son avion – je vois bien même ce qu’aurait pu être cette scène et comment elle se serait (mal) insérée dans le film.
Mais à mon avis, c’est passer complètement à côté du film. Miyazaki n’a jamais besoin de démontrer lourdement qu’il n’est pas en accord avec cet aspect des choses. Par petites touches, on comprend bien que le personnage lui-même n’est pas ravi – c’est le moins que l’on puisse dire ! – de l’utilisation de cet avion. Par quelques scènes (dont un rêve saisissant, encore, sur les conséquences de la guerre), le réalisateur aussi prend ses distances avec cet aspect là des choses. Par les agissements de personnages secondaires (les chefs de Jiro, l’espion « communiste »…), on comprend bien que le film penche du côté du pacifisme.
Et puis, c’est aussi toute la richesse du film que de ne pas avoir peur de l’ambiguité pour se révéler plus complexe qu’il n’en a l’air. Un peu d’intelligence et de distance critique devraient toujours être un pré-requis avant de regarder un film…)