STATION ELEVEN de l'auteure canadienne Emily Saint John Mandel est au cœur d'une mini polémique dans les milieux SF depuis sa sortie aux states. Qui s'est évidemment reportée chez nous lors de sa sortie en France. En gros, le débat habituel entre le "tenants du genre" et les "partisans à l'ouverture". Mandel serait coupable d'appartenir à un courant de la littérature blanche contemporaine, et de s'aventurer sur le terrain de la science-fiction apocalyptique, au mieux en amateure un peu légère, au pire en profiteuse cynique. On peut lire une énième version de cette discussion dans la critique du livre parue dans le dernier
Bifrost, par exemple...
Mais faisons fi de tout ça - que donne vraiment la lecture du livre ?
Déjà, il est difficile de "faire fi", malgré tout. Parce que le livre sent clairement l'auteure qui s'aventure sur un terrain éloigné de son écriture habituelle. Ne serait-ce que dans le mélange de littérature blanche et de SF. Tout le début du livre, puis ensuite les nombreux flashbacks se situant avant l'épidémie ayant décimé quasiment toute la population mondiale, appartiennent clairement au registre de la littérature nord-américaine contemporaine. Tout comme la manière d'éclater le récit. Et, lié à ça, le côté un peu artificiel dont tous les personnages et éléments du récit se rejoignent finalement dans un grand tout.
Après, ça ne m'a pas gêné en soi, ces histoires de théâtre et de célébrité, ces personnages contemporains décrits dans le détail, etc. J'ai même pris autant de plaisir à la lecture de ces passages qu'aux parties du livre se situant dans le monde d'après l'épidémie.
Ce qui est plus gênant, c'est que Mandel raconte finalement des trucs qu'on connaît déjà, et qui sentent fortement le déjà vu, déjà lu, et plutôt 100 fois qu'une. En gros, si t'as lu
Le Fléau de King et
La Route de MacCarthy (voire
Le Passage de Cronin, évoqué à un moment dans le livre), t'as pas besoin de te farcir cette onzième station. Et, normalement, si t'es amateur de SF, t'as lu ces bouquins, ça tombe mal pour Emily... Qui semble pourtant ne pas en être gêné; on voit bien qu'elle a l'impression de réinventer le genre à chaque page.
Reste, malgré tout, un bon livre, bien écrit (manquerait plus que ce ne soit pas le cas !) et qui se lit tout seul. J'ai même été surpris, finalement, qu'il y ait tant de pages se déroulant dans l'univers science-fictionnel du livre. Et, même si l'ensemble manque carrément d'originalité, le fait d'axer le discours du livre sur la perte de la mémoire et de l'histoire humaine après une catastrophe est plutôt bien vu.