Bon, quand on a dit ça, on a rien dit, en même temps…Phil a écrit:Fini ! Et c'est vraiment énorme ))
Passons rapidement sur l’expérience de la lecture du livre en version originale – on en a déjà parlé plus haut ; ça s’apparente un peu en effet à une redécouverte de la lecture, où les réflexes habituels sont remplacés par de nouveaux, qui s’impriment très vite. Si on ne comprend pas toujours mot à mot ce qu’on lit, le sens général s’impose dans tous les cas – et la lecture devient très vite fluide et naturelle (même si ça prend forcément plus de temps).
Rassuré par cette lecture, je sais maintenant que je m’attellerai sans problème à de nouveaux livres en anglais à l’avenir. Tout en me disant toujours que je vais quand même réserver ça à des trucs a priori pas trop ardus (je me vois pas lire de la hard SF à la Baxter en anglais par exemple), et que je vais attendre encore aussi quelques livres pour les auteurs l’écriture plus soutenue (Paul Auster ou Russel Banks, ça va pas être pour tout de suite, quoi)
Sur le livre en lui-même… J’ai déjà dit sur l’ancien forum que depuis qu’il avait terminé La Tour Sombre, Stephen King semblait avoir rebondi sur une nouvelle phase de sa carrière absolument passionnante. On aurait pu croire que sa monumentale saga l’aurait asséché, elle a au contraire constitué la fermeture d’une parenthèse qui lui permet maintenant d’offrir des livres toujours plus personnels et souvent plus conceptuels. On peut voir la fin des aventures de Roland et son Ka-Têt comme une libération de ses « obligations » envers ses lecteurs, lui laissant le champ libre pour une version littéraire des séries qu’il aime type Lost (Dome), pour son roman sans cesse repoussé sur l’assassinat de Kennedy (22/11/63), ou une suite de Shining.
C’est cette liberté retrouvée qui frappe à la lecture de ce DOCTOR SLEEP – en plus du fait que l’auteur vient quand même de nous balancer 3 livres extraordinaires de suite (ce qui troue pas mal le cul, pour un vieux qui n’a plus rien à prouver) ! Parce qu’ici, King ne se contente pas de faire une « simple suite » de son livre mythique – ce qui aurait déjà contenté la plupart de ses lecteurs-fans au-delà de leurs espérances.
Ne nous y trompons pas : les aventures d’un Danny Torrance devenu adulte et toujours aux prises avec son don autant qu’avec un alcoolisme poussé et des souvenirs des événements de son enfance l’empêchant de vivre normalement, sont le socle de base de cette suite. Qui joue assez logiquement, très efficacement, et parfois (souvent) même avec génie, des ingrédients attendus de toute séquelle qui se respecte : que sont devenus les personnages secondaires, comment les événements du premier livre influencent l’histoire du second, comment le shining évolue à l’âge adulte, etc. De même, des motifs du premier livre reviennent de manière récurrente dans le second, ou parfois simplement au détour d’une scène (le Redrum fugitif au détour d’une page est un bel exemple de fan service jouissif !). Enfin, il y a bien là un côté « feuilletonesque » qui colle très bien au concept de suite, avec par exemple le retour sur les lieux de l’Overlook dévasté ou les révélations sur la famille de Danny.
Pour autant, King ne s’endort pas sur ses lauriers et ne se contente pas d’aligner les clins d’œil faciles à Shining, mais développe au contraire une histoire originale qui n’a rien à voir avec le premier, introduit de nouveaux personnages, de nouveaux enjeux, de nouveaux concepts. Ce qu’il fait, en fait, c’est transporter son personnage principal dans un nouvel univers – « une nouvelle aventure de Danny Torrance ». Et comme sa nouvelle histoire de vampires psychiques aux prises avec une petite fille dotée d’un shining surpuissant est captivante, puissante, pleine de superbes trouvailles (les containers de vapeurs ou la rubéole – je ne vous dis que ça ), on y gagne sur tous les tableaux. Tout juste pourra-t-on trouver la résolution de l’intrigue un peu facile et recourant à des idées d’affrontements psychiques déjà vus et revus chez l’auteur. Un petit défaut - justement habituel chez King et auquel on s’est habitués d’une certaine façon – qui ne gâche en rien l’excellence de l’ensemble. D’autant que la toute fin du livre est magnifique.
Au-delà de tout ça, l’écriture de King et son sens de la narration ne sont plus à démontrer, et s’avèrent tout aussi redoutables ici qu’à son habitude. On s’attache très vite non seulement à la version adulte de Danny, mais aussi à tous les nouveaux personnages introduits ici. Comme toujours, King a le chic pour trouver tout un tas d’anecdotes et de traits de caractères définissant chacun d’eux, qui amènent le lecteur à devenir leur familier et à les aimes avec leurs qualités et leurs défauts. Constante aussi chez l’auteur : la construction du livre, émaillée d’une multitude de détails constituant une architecture complexe et d’une grande précision. Ainsi, le récit file à toute vitesse, dans un enchaînement logique de péripéties agrémenté de quelques séquences chocs et de morceaux de bravoure.
Comme le premier Shining était un livre très personnel pour King (d'où son ressentiment à l'adresse du film de Kubrick - il en remet une toute petite couche ici dans la postface), cette suite est elle aussi très personnelle. Sauf que King se réfère à ses démons de l'époque, et à la manière dont il s'en est débarassé, plutôt qu'à ses démons actuel d'homme apaisé. Plus qu'à la fouille de sa personalité et à sa vision du monde, il se coltine à sa légende personnelle - et ce qu'il en fait est là encore captivant.
Tous éléments qui sont la marque d’une littérature de divertissement haut de gamme à faire rougir les pisse-copies qui pullulent dans les transports en commun, dont Stephen King est plus que jamais l’un des plus dignes représentants (LE plus digne, en ce qui me concerne).