8 Femmes que j'ai revu hier en BR, et qui est bien toujours mon Ozon préféré !
(me suis rendu compte, avec mes listes de psyman, que je l'avais revu qu'une seule fois il y a 10 ans...)
Du coup, j'ai relu après l'avis que j'avais écrit pour Ciao après visionnage au cinéma.
Marrant comme, avec le recul, la partie replaçant Ozon au sein du cinéma français de l'époque n'est plus vraiment d'actualité par rapport à la suite de sa carrière. Par contre, je changerais pas un mot sur la partie "analyse filmique" !
Débutant d’une manière purement théâtrale, « 8 femmes », le dernier film du jeune prodige François Ozon, est pourtant l’une des plus belles déclarations d’amour au cinéma que j’ai jamais vue. Un film dont on ressort heureux, et quand on est purement cinéphile comme moi, confiant dans la qualité de cet art. Ce petit miracle d’équilibre (à tout moment le film pourrait basculer dans la démonstration, dans le ridicule, dans l’exercice de style, et pourtant ce n’est jamais le cas) est dû au scénario incroyablement ciselé, à la réalisation absolument superbe, et bien sûr à l’incroyable brochette d’actrices qui tiennent les rôles principaux.
Un soir d’hiver, pas loin de Noel, dans une grande maison bourgeoise. En attendant que l’homme de la maison se réveille, on fait la connaissance de sa femme, ses deux filles, dont l’une revient après un an d’absence et des deux bonnes de la maison. Se trouve aussi hébergées la mère et la sœur de la maitresse de maison, ce qui ne va pas sans heurts. Surtout lorsqu’on découvrira le cadavre de l’homme assassiné dans son lit. Laquelle avait le plus intérêt à le tuer, entre les conflits d’argent et les passions ? L’affaire se complique encore quand la sœur du mort fait irruption dans la maison après un mystérieux coup de téléphone, et qu’elles se rendent vite compte que toute liaison avec l’extérieur est impossible.
J’ai bien souvent loué ici l’incroyable vitalité du jeune cinéma européen et principalement français, depuis quelques années. J’avais malheureusement oublié de citer le nom de François Ozon, que j’avais découvert en vidéo avec son premier film, la petite bombe « Sitcom ».
Depuis « Sous le sable », son film précédent, le grand public semble avoir découvert ce jeune réalisateur. De même, la critique, qui jusqu’ici gardait un silence gêné devant ses délires cinématographiques, est maintenant totalement acquise au petit génie grâce à ce drame d’une noirceur ahurissante. Ainsi, par cette double reconnaissance, Ozon a pu monter un projet-concept complètement dingue comme on en voit rarement dans notre cinéma, et promis d’avance à un succès assuré auprès du public et de la profession.
C’est oublier qu’avant de parader dans les cercles de l’intelligentsia, Ozon nous explosait déjà les mirettes avec ses courts et long métrages incroyablement maîtrisés et fascinants, dans lesquelles il dévoilait en plus que son nom de famille n’était pas vain.
Dans Sitcom, une famille bourgeoise modèle s’adonne à tous les vices (inceste, sado masochisme, partouzes dans les chambres des enfants) et se découvre des comportements sexuels et sociaux troublants (le fils se découvre homosexuel et fait défiler tous les jeunes minets de la ville dans sa chambre sous le regard de la bonne qui se masturbe), avant que le père se transforme en rat géant voulant dévorer sa progéniture !
Dans « Les amants Criminels » (son plus beau film et son plus grand échec commercial), deux jeunes à l’esprit et la sexualité dérangés en tuent un autre et se retrouvent dans leur fuite prisonnier d’un ogre qui les séquestre, les oblige à manger de la chair humaine et amène le garçon à coucher avec lui.
Dans « Gouttes d’eau sur Pierres brûlantes », un écrivain homosexuel rassemble autour de lui une faune hétéroclite de personnages dont une jeune lolita (déjà interprétée par Ludivine Sagnier) et un transsexuel, dans le but d’écrire son dernier roman
Et je vous passe la liste de perversions et de provocations de la plupart de ses court-métrages, tous passés sur Arte, si ce n’est pour vous dire de vous concentrer principalement sur « Une robe d’été » (magnifique de frustration sexuelle), et « Regarde la mer » dans lequel une femme laisse son bébé sur la plage pour aller se faire prendre dans la forêt par un amant de passage.
Chez François Ozon, la provocation n’est jamais gratuite, toujours liée à la satire de nos moeurs et de nos sociétés. Alors, même si son assagissement avec « Sous le sable » m’avait surpris, ce film n’en parle pas moins d’un cas de nécrophilie virtuel, et constitue par là même un film d’amour fou absolument sublime.
Et de même pour ce « 8 femmes », qui s’apparente au départ à une comédie policière banale, mais est au final une étude psychologique de tous les travers et dérèglements de la famille et de la société, à nouveau ces thèmes qui courent tout au long de son œuvre.
A la manière d’un Claude Chabrol (auquel le film fait énormément penser), en partant de la description banale d’une famille bourgeoise typique, Ozon va s’amuser au fur et à mesure du film à introduire sans arrêt de petits grains de sable dans la psychologie et le comportement de ses personnages féminins. Au final, chacune des actrices aura dynamité de l’intérieur ses apparences pour se transformer en monstre social. Sans vouloir dévoiler le final, cette analyse est à la fois le procédé du film, et ce qu’il raconte (vous verrez lors de l’explication).
Au début du film, on se retrouve plongé dans une ambiance désuète de bourgeoisie coquette, avec ces femmes luxueusement habillées et maquillées, qui vivent dans une riche demeure, se comportent et se parlent comme dans les milieux les plus huppés. Cet aspect théâtral et foncièrement kitch sert à Ozon à instaurer une forme de « normalité » absolue dans ce qu’on nous montre à l’écran, et en même temps un caractère factice qui subsistera tout au long de la vision. Et puis, très vite, on découvre le cadavre du père. Dès lors, toutes les mesquineries, toutes les accusations, tout les faux-semblants, trahisons et mensonges des unes et des autres vont être révélées. Chacune a en effet des choses à cacher, des secrets enfouis, des comportements honteux qui vont ressortir au gré des mises en accusations et vont entraîner toutes ces femmes à se déchirer et se battre comme des lionnes pour défendre leurs petits intérêts mesquins.
Tout l’intérêt du scénario vient de ce formidable exercice de manipulation et d’ironie. Comme au Cluedo ou dans les enquêtes de Sherlock Holmes ou Hercule Poirot, le film fonctionne en nous fournissant indices et fausses pistes à un rythme soutenu. Impossible de deviner la fin avant qu’elle ne survienne, impossible de ne pas soupçonner tour à tour l’une ou l’autre, en clair, impossible de ne pas tomber dans les pièges qu’Ozon nous a tendus. Toutes les deux minutes, je le soupçonnais de ricaner dans mon dos devant les réactions qu’il provoque !!! J’adore personnellement ce genre de film-piège ou film-jeu, comme je les appelle, qui, quand il est bien fait (Le Limier, Usual Suspects, The Game…) provoque un plaisir de spectateur rare. Ici, c’est une vraie jubilation de se laisser entraîner dans le labyrinthe du scénario.
L’aspect « enquête » de l’histoire se double aussi d’une étude de mœurs très fine sur un milieu qui finalement n’est pas aussi répandu que ça. Car les personnages d’Ozon sont totalement iconiques, et si l’histoire se déroule dans un milieu bourgeois, il aurait très bien pu en être de même dans n’importe quelle couche sociale.
Et Ozon utilise ici un humour noir qui fait mouche à chaque fois, en revenant sur des principes de base du comique (le coup de bouteille sur la tête, je pensais que ma voisine dans le ciné n’allait jamais s’en remettre !), et en jouant sur des dialogues ciselés à merveille, plein d’ironie, de bons mots et de mordant. En plus, il ajoute l’absurde de séquences chantées ou tour à tour chacune des 8 actrices se lance dans une reprise d’un morceau de variété, chorégraphies à l’appui (à tomber par terre : Emanuelle Beart qui danse lascivement sur « Pile ou face » de Corinne Charby, merveilleux !!!). Ces intermèdes, s’ils peuvent sembler complètement incongrus au départ, amène un souffle de délire bienvenu à la noirceur générale du film. Car même si l’on rit beaucoup, c’est souvent aux dialogues grinçants qu’on le doit…
Bien sûr, on entend parler partout de ce formidable lot d’actrices que le jeune réalisateur a pu rassembler dans son film. C’est vrai qu’il y a quasiment tout le gratin des grandes actrices représentantes d’une certaine qualité française, sur plusieurs générations et avec un passage de témoin aux jeunes qui montent. Et elles jouent toutes formidablement bien. Mention spéciale tout de même à Huppert et Béart, qui se détachent largement du lot, ce qui semblait à peu près évident avant même de voir le film. Toujours pour en rajouter dans le théatral et le délire, chacune d’elle surjoue un peu, poussant toujours le bouchon légèrement trop loin dans le ton de la voix ou les mimiques, et c’est un vrai régal.
Au-delà du grain de folie de leurs personnages, chacune fait ce qu’elle sait faire de mieux, et on joue donc à nouveau de cette familiarité pour introduire les dérèglements.
Deneuve est extraordinaire en bourgeoise coincée et hautaine, mais aussi usée par la vie. Huppert peut paraître déplacée au départ en hystérique aigrie et méchante, mais ce n’est jamais qu’un parallèle à son rôle dans cet autre incroyable tollé contre la bourgeoisie qu’est « La Cérémonie » de Chabrol. Emmanuelle Béart joue une bonne nymphomane toute droit sortie d’un film de boules (oh ouiiiii !!!) avec une aisance incroyable, surtout lorsqu’elle se lâche pour faire apparaître un personnage bien plus profond qu’on le pensait. Fanny Ardant vampe à mort mais sait aussi se montrer sensible et décalée. Firmine Richard est une révélation pour moi et joue très bien dans un registre de brave bonne métisse débonnaire. Danielle Darrieux extrapole avec bonheur sur ces rôles récents de mamie idéale. Virginie Ledoyen est énervante juste comme il faut en petite fille modèle, et Ludivine Sagnier très touchante dans son rôle de vilain petit canard.
Je parlais en début d’avis de déclaration d’amour au cinéma. Bien sûr, cela passe à travers les actrices, devant lesquelles Ozon est visiblement en extase, vu qu’il les filme comme des déesses au milieu de tentures et de voilures superbes.
Mais cela passe aussi par l’hommage à une certaine forme classique de cinéma. J’ai déjà cité ici comment Chabrol semble être une grande source d’inspiration thématique et visuelle dans ce film. Mais on ne peut surement pas passer à côté de LA référence la plus forte (qui est aussi majeure chez Chabrol, tiens…) : Hitchcock. Même si j’entends couramment dire autour de moi des stupidités genre « ah ben Hitchcock ça a quand même vachement vieilli, ça n’a pus d’intérêt maintenant », il s’avère que le gros Alfred sera éternellement un modèle pour les réalisateurs du monde entier. Il a réinventé la grammaire cinématographique et instauré des modèles de mise en scène qui resteront toujours d’actualité. Ici, il n’y a qu’à voir le mouvement de caméra lors de la montée des marches d’Isabelle Huppert, la manière d’emprisonner les actrices dans le plan, l’utilisation de la musique, et tout un tas d’éléments graphiques (les tableaux, la blondeur de Béart etc….) et de références à Rebecca ou Soupçons pour y lire le tribut qu’Ozon paye au maître. Au-delà de ça, c’est tout le cinéma policier américain des années 40-50 qui est convoqué ici, ne serait-ce que par l’homme flagrant au Gilda de Charles Vidor.
Et ceci se poursuit dans le mélange des genres (impossible de déterminer la catégorie précise du film) qui survole donc le policier classique, mais aussi la comédie musicale, la comédie tout court, l’étude de mœurs et bien d’autres choses encore.
Tout ça est appuyé par une réalisation techniquement irréprochable. A partir d’un parti pris de saturer les couleurs au maximum, Ozon tire des plans d’une beauté hallucinante. Toujours précis, ses cadrages et ses discrets mouvements de caméra sont toujours au service de l’histoire et des actrices. Il est en cela aidé par un montage d’une très grande qualité. Il suffit de voir la très grande scène où chacune des femmes décrit son alibi pour la nuit passée, pour y voir la démonstration de sa grande force technique. Cette scène est totalement constituée de gros plans successifs sur les visages des 8 femmes, qui s’intercalent idéalement dans un montage « cut » du plus bel effet.
Tout ceci nous amène jusqu’à un final très joli, où nous sera dévoilé l’explication finale. On m’avait dit avant de voir le film que ce final était raté, je le trouve au contraire très bon. L’explication est la seule qui pouvait être donnée, et les dernières minutes sont très belles.
C’est alors que se dévoile toute l’ironie du film, avec la chanson « Il n’y a pas d’amour heureux » de Brassens, où Ozon fustige le sentiment amoureux. Pour lui, l’amour n’existerait donc que dans l’art (fait avec amour, par des gens amoureux, pour les amoureux de l’art).
Ce film en est l’une des plus belles démonstrations.